Rigueur, austérité, restriction, appelez ça comme vous voulez. Les citoyens se sont tellement fait rebattre les oreilles avec la nécessité de se serrer la ceinture qu'ils ont du mal à se rappeler que les gouvernements leur ont offert de beaux cadeaux depuis le début du millénaire.

C'est pourtant le cas, est venue confirmer, récemment, une étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke.

Bon, je vous l'accorde, le fardeau fiscal des Québécois reste très lourd. Pratiquement aucune nation ne dépend autant des impôts sur le revenu pour financer les services à la population.

N'empêche, les impôts ont fondu depuis 2000. Oui, oui, je vous le jure. Et tout le monde en a profité.

Prenez un Québécois qui gagne le salaire moyen en 2016, soit 46 870 $. Ce célibataire a vu son taux d'imposition diminuer de 5,8 points de pourcentage depuis 2000. Il se retrouve donc avec une somme substantielle de 2717 $ de plus dans ses poches, calcule le professeur de fiscalité et titulaire de la Chaire, Luc Godbout.

Pour une famille de deux enfants qui gagne deux fois le salaire moyen (93 739 $ répartis 60 %/40 % entre les deux conjoints), la baisse du taux d'imposition se chiffre à 4,9 points de pourcentage et se traduit par une économie d'impôt de 3750 $.

Et cela ne tient même pas compte des généreuses bonifications des prestations pour enfants qui ont été exclues de l'étude, car elles ne constituent pas un allégement fiscal à proprement parler.

D'où vient donc cette manne fiscale ?

Rappelons qu'après avoir épongé le déficit, Paul Martin, alors ministre des Finances, a annoncé en 2000 des baisses d'impôt de 100 milliards sur cinq ans. Abolition de la surtaxe de 5 % sur les hauts revenus, baisse des taux d'imposition et ajout d'un palier : les effets se font encore sentir aujourd'hui.

Québec a emboîté le pas en tailladant sa grille d'imposition à maintes reprises depuis le début du millénaire.

Même les travailleurs qui ne paient pas d'impôt ont bénéficié des largesses fiscales des gouvernements depuis 2000. Par exemple, la création de la prime au travail par Québec, en 2005, et de la prestation fiscale pour revenu de travail, en 2007, a donné de l'air aux gagne-petit.

Pour tout dire, la diminution du taux d'imposition a été plus grande pour les ménages à faibles revenus que pour les mieux nantis, qui subissent d'ailleurs un « ressac » fiscal depuis quelques années.

En 2013, le gouvernement Marois a ajouté un taux d'imposition plus élevé sur les revenus supérieurs à 100 000 $. Et cette année, le gouvernement Trudeau a instauré un taux de 33 % pour les revenus supérieurs à 200 000 $. Cela fait en sorte que le taux d'imposition marginal des Québécois est remonté à 53,3 %.

Avec toutes ses modifications, notre système fiscal compte parmi les plus « progressifs » du monde. C'est chez nous que le poids des impôts augmente le plus au fur et à mesure que les revenus d'un contribuable augmentent.

En fait, « l'indice de progressivité » du Québec se classe systématiquement au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE dans chacune des 35 situations étudiées par le professeur Godbout.

Le Québec arrive même en quatrième place des pays les plus progressifs dans le cas des familles monoparentales et des familles de deux enfants avec un seul revenu.

Alors, qui est le champion de la progressivité ? Un indice : il ne s'agit pas des fameux pays scandinaves, qui sont en dessous de la moyenne de l'OCDE, étonnamment. Non, les trois pays qui montent sur le podium sont les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. C'est le monde à l'envers !

Sauf que la progressivité fiscale ne dit pas tout. Toutes proportions gardées, les pays scandinaves collectent beaucoup plus d'impôts que les États-Unis, ce qui leur permet de mieux combattre les inégalités en offrant davantage de services, explique M. Godbout.

Chez nous, la très grande progressivité fiscale a permis d'annuler l'accroissement des iniquités depuis une quarantaine d'années.

En 1976, les 20 % des familles québécoises ayant les revenus les plus élevés gagnaient 8,2 fois le salaire des 20 % les plus pauvres. Ce ratio avait grimpé à 13,7 en 2011 (la donnée la plus récente).

En passant, vous serez peut-être surpris d'apprendre que l'écart de richesse, avant impôt, est plus faible en Ontario qu'au Québec.

Mais quand on tient compte de la fiscalité, le portrait change complètement. En considérant l'impôt et les autres transferts, les Québécois les plus riches gagnent seulement 4,6 fois le salaire des plus pauvres, pratiquement le même niveau qu'il y a 40 ans.

Voilà la preuve que la fiscalité québécoise a bien joué son rôle pour lutter contre l'élargissement du fossé entre les riches et les pauvres. Et beaucoup mieux qu'en Ontario, où le ratio a plutôt grimpé de 4,6 à 5,2 durant la même période.