Le Petit cochon rose, alias Groupe Solution2, porte mal son nom. Il n'y a rien de très rose dans cette entreprise de gestion de dettes qui s'est fait connaître à grand renfort de publicité.

Au lieu d'aider les consommateurs à venir à bout de leurs dettes, le Petit cochon rose les enfonce davantage dans le rouge, si je me fie à plus d'une demi-douzaine de clients désabusés et d'anciens employés avec qui j'ai discuté.

Nous avons accepté de garder leur témoignage anonyme pour ne pas nuire à leur réputation et à leur recherche d'un nouvel emploi.

« Nous, tout ce qu'on veut, c'est que ça arrête », m'a dit une ex-employée. « J'ai de la peine pour tous les clients qui ont eu confiance en moi. On les a mis plus dans le pétrin qu'ils ne l'étaient. J'avais le coeur gros après », raconte la dame qui cherche à réparer ses torts.

Je vous ai déjà parlé du Petit cochon rose dans le cadre d'un grand dossier sur l'industrie de la détresse financière publié en mai dernier. À ce moment, le Petit cochon rose jouait dans les platebandes des syndics autorisés en insolvabilité. Les clients surendettés se retrouveraient à payer des honoraires de plusieurs milliers de dollars pour un service peu utile.

Mais depuis la mi-novembre, la société a changé son approche. Et je suis encore plus préoccupée par le nouveau modus operandi du Petit cochon rose, dont le responsable n'a pas répondu à mes appels de mercredi et vendredi dernier.

L'entreprise offre désormais un service de négociation de dettes, m'ont indiqué trois anciennes employées. Au lieu de continuer à rembourser leurs créanciers, les clients s'entendent pour payer directement le Petit cochon rose, qui ajoute 25 % au montant total de leurs dettes puis étale cette somme sur plusieurs années.

Ainsi, une jeune femme qui avait autour de 10 000 $ sur ses cartes de crédit devait rembourser 218,54 $ par mois, pendant 60 mois. Pourtant, dans son « contrat de prestation de services » dont j'ai obtenu copie, les honoraires de 25 % ne sont pas détaillés, ni la somme totale à verser de 13 112 $ sur cinq ans.

« Les gens ne calculent pas. Ils sont sur le coup de l'émotion. Ils pensent qu'ils vont arrêter de payer des intérêts et qu'ils vont s'en sortir », m'a raconté une autre ex-employée.

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Mais les clients ont vite déchanté. « Les créanciers ont tous refusé de faire affaire avec Groupe Solution2. Mais les montants et les honoraires des clients ont été empochés dans les comptes de Groupe Solution2 », m'a expliqué une troisième ex-employée.

Après Noël, plusieurs clients ont réalisé que le Petit cochon rose n'avait pas payé leur créancier.

« J'ai des clients qui m'ont contacté sur Facebook pour me dire que ça faisait trois ou quatre mois qu'ils payaient [au Petit cochon rose] et qu'aucune de leur dette n'avait encore été remboursée », enchaîne l'ex-employée.

Les consommateurs qui réussissaient encore à payer leurs comptes avant de consulter Groupe Solution2 se retrouvent maintenant dans de beaux draps.

« Je suis très mécontente de la tournure des événements, écrit par exemple une dame qui se plaint au Petit cochon rose dans un courriel dont j'ai obtenu copie. Je vous paye 225 $ par mois depuis novembre et rien n'avance ! En plus, un de mes créanciers me dit que malgré la procuration que je vous ai signée il ne va pas donner suite à vos demandes. »

Différentes lettres d'institutions financières que j'ai pu lire prouvent d'ailleurs que les créanciers refusent de discuter avec des négociateurs de dettes.

« Les offres de règlement finales faites par ces compagnies sont généralement refusées. Les clients finissent donc par payer des frais à ces agences tout en restant personnellement imputables de la totalité de la dette. » - Extrait d'une lettre de la Banque Nationale adressée à une cliente de Groupe Solution2

« Je suis paniquée parce que je veux payer mes créanciers », m'a confié la cliente qui a reçu cette lettre.

Un autre client s'est retrouvé dans une situation encore plus pénible après avoir confié son dossier au Petit cochon rose en décembre dernier dans l'espoir de venir à bout de dettes d'environ 45 000 $.

Mais aujourd'hui, cet homme est menacé de poursuite et de saisie de salaire par ses créanciers. « Ils m'ont dit qu'ils avaient fait des démarches, mais que ça n'avait pas fonctionné », m'a raconté l'homme qui a déjà versé plus de 2600 $ à Groupe Solution2.

Le pire, c'est que les clients acheminent l'argent directement à Groupe Solution2, plutôt que dans un compte en fidéicommis, indiquent deux de mes sources. Il n'y a donc pas de gardien qui s'assure que l'argent destiné au remboursement de leurs dettes servira à payer les créanciers. Cela me donne la chair de poule.

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L'Office de la protection du consommateur (OPC) a reçu des plaintes visant le Petit cochon rose. Il examine la situation, mais ne peut faire aucun commentaire.

Il faut dire que le vide réglementaire laisse présentement les coudées franches aux négociateurs de dettes qui se font de plus en plus présents au Québec après avoir causé beaucoup de problèmes chez nos voisins.

Les Américains ont déjà interdit aux négociateurs de dettes d'imposer des frais à un consommateur avant d'avoir réussi à conclure une entente avec les créanciers. Plusieurs provinces canadiennes ont fait de même. Certaines plafonnent aussi les frais à 10 % du montant de la dette. Une bien bonne affaire.

Mais au Québec, rien ne protège les consommateurs.

Les dangers que présentent les entreprises de règlement de dettes ont été clairement exprimés en 2013 lors des consultations en vue de la réforme de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) en matière de crédit à la consommation.

On suggérait notamment à Québec d'interdire le paiement anticipé de frais ou honoraires à des organismes de règlement de dettes et d'obliger ces entreprises à placer les sommes reçues du consommateur dans un compte en fidéicommis.

Malheureusement, ces bonnes idées sont restées lettre morte. Quel dommage ! J'ose espérer que la réforme de la LPC que la ministre de la Justice vient de remettre sur les rails aboutira au plus vite.

Les rouages des négociateurs de dettes

Les firmes de réduction de dettes proposent aux consommateurs d'arrêter de rembourser leurs créanciers pour plutôt mettre l'argent de côté. Après avoir fait patienter les créanciers durant plusieurs mois, le négociateur peut alors leur offrir de verser l'argent économisé comme règlement final, même si la somme ne représente qu'une fraction des dettes. 

Or, cette stratégie est très risquée pour le consommateur. D'une part, son dossier de crédit risque d'être sérieusement amoché par les retards de paiement, ce qui peut occasionner des frais supplémentaires et même mener le dossier en recouvrement.

D'autre part, les entreprises de négociation de dettes exigent des frais très élevés que le client doit payer à l'avance, sans savoir si les démarches porteront leurs fruits. Aux États-Unis, une enquête de la Federal Trade Commission (FTC) a déjà démontré que ce genre de programme avait un taux de succès de seulement 2 %.

Pour toutes ces raisons, l'Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) suggère de se méfier des entreprises de réduction de dettes.