Non, Desjardins n'a pas l'intention d'abolir ses ristournes demain matin. Mais le simple fait de vouloir en discuter lors de son congrès d'orientation du 19 septembre en dit long sur l'avenir de ces fameuses ristournes, l'un des rares éléments qui distinguent encore clairement Desjardins des banques.

Mais pourquoi toucher aux ristournes? Depuis la crise financière, les règles internationales de Bâle III obligent les institutions financières à garder plus d'argent en réserve afin de mieux résister aux chocs.

Or, ces nouvelles règles de capitalisation sont faites pour les banques qui peuvent émettre des actions. De leur côté, les coopératives doivent faire preuve de créativité pour répondre aux nouveaux standards sans se dénaturer.

Il y a trois ans, Desjardins a dû se creuser la tête pour inventer de nouvelles parts de capital, afin de remplacer ses anciennes parts permanentes qui lui permettaient de se financer auprès de ses membres depuis 1989. Mais Desjardins approche maintenant de la limite qu'elle peut émettre en nouvelles parts.

Alors, la façon la plus simple de gonfler ses réserves, c'est de garder davantage de profits dans la caisse. Cela veut dire verser moins de ristournes. Ou peut-être pas du tout.

Mais les ristournes sont un symbole. Elles marquent la différence fondamentale entre une banque qui remet une partie de ses profits à ses actionnaires et une coopérative qui partage ses excédents entre tous ses clients membres.

Depuis des années, les ristournes servent aussi d'argument de vente pour Desjardins. Pas plus tard qu'en mai dernier, la Caisse de Sainte-Foy qui venait de retourner 2 millions de dollars à ses membres et à sa communauté s'est justement payé une pleine page de publicité dans le journal local: «Caisse-que je fais à la caisse? Je profite de ristournes avantageuses», y clamait-on.

Mais les ristournes ne sont pas toujours faramineuses: 80% des membres reçoivent moins de 50$ ou rien du tout.

Il faut dire que les ristournes ont déjà beaucoup fondu. L'an dernier, les caisses ont remis 176 millions à leurs membres, trois fois moins qu'en 2007. Avant la crise du crédit, les caisses versaient jusqu'à 60% de leurs excédents. Aujourd'hui, ce n'est plus que 30%.

Faut-il s'en inquiéter? Certains vous répondront que les ristournes n'ont jamais été la pierre d'assise du Mouvement Desjardins. Alphonse Desjardins lui-même n'en a jamais versé de son vivant. Et ailleurs dans le monde, peu de coopératives financières offrent des ristournes à leurs membres.

Mais d'autres vous diront que les ristournes sont un élément-clé de la stratégie marketing de Desjardins, un trait distinctif qui permet au Mouvement de se démarquer par rapport à ses concurrents.

Car à part les ristournes, qu'est-ce qui distingue Desjardins des banques aujourd'hui? Rien, répond l'ancien patron de la coopérative Claude Béland, qui se demande même si on peut encore parler du «Mouvement» Desjardins.

Les produits? Ils se rapprochent de plus en plus de ceux des banques. Par exemple, Desjardins s'apprête à relever le taux d'intérêt sur ses cartes à taux réduit, tout en réduisant le paiement minimum requis, comme dans les banques. Cette combinaison fera en sorte que les clients les plus vulnérables resteront coincés avec leurs dettes pendant de longues années et paieront beaucoup plus d'intérêts.

La démocratie? Vrai, le Mouvement Desjardins appartient à ses membres. Quelque 2000 délégués participeront à son congrès d'orientation. Mais moins de 1% des membres votent à l'assemblée générale de leur caisse.

La présence régionale? Dernièrement, les caisses ont disparu dans de nombreux villages. En fait, le nombre de caisses et de points de services a diminué de près de 30% depuis 2000, dont 15% depuis 2010, pour tomber de 1375 à 1165.

Chaque fois, ces disparitions créent de l'émoi. Au printemps dernier, l'annonce de la fermeture des points de services dans deux villages près de Joliette par la Caisse de Kildare a provoqué une véritable fronde chez les membres.

Mais Desjardins se défend. Les temps changent. Les villages évoluent. Aujourd'hui, les gens se déplacent dans la ville centrale pour faire toutes leurs emplettes. Avec l'internet et les services mobiles, ils peuvent facilement magasiner auprès de toutes les autres banques. Ils peuvent placer leurs économies dans un compte à intérêt élevé auprès d'une banque virtuelle qui offre des taux encore plus avantageux, car elle n'a pignon sur rue nulle part.

Chez Desjardins, l'étendue du réseau et la main-d'oeuvre abondante érodent les marges de rentabilité. Pour réaliser un dollar de revenu, Desjardins dépense 73 cents, tandis que les banques ne dépensent que 59 cents. Tôt ou tard, cet écart de rentabilité finira par se refléter dans l'offre de services. Et les membres s'en ressentiront.

Les purs et durs du mouvement coopératif resteront toujours chez Desjardins, afin d'encourager l'économie et l'emploi au Québec. De fait, Desjardins est le plus important employeur privé de la province ainsi qu'un important donateur.

Mais si les produits deviennent moins concurrentiels, certains clients risquent d'aller voir ailleurs. Alors Desjardins se doit d'être plus productive et bien capitalisée pour maximiser la qualité du service qu'elle offre à ses membres.

Le défi est d'y arriver sans renier sa mission de départ.

LES RISTOURNES ONT FONDU DE PLUS DE MOITIÉ

Année Ristournes

(en millions de dollars)

2002........................................415

2003.......................................433

2004.......................................389

2005.......................................433

2006.......................................497

2007 .......................................579

2008........................................214

2009....................................... 273

2010........................................294

2011 .........................................299

2012.........................................249

2013......................................... 247

2014 .........................................177

Source : Desjardins