Depuis 30 ans, le fossé se creuse entre les ultrariches et le commun des mortels. Cette année encore, la sortie des circulaires que les entreprises doivent fournir avant leur assemblée annuelle nous confirme que le salaire des grands patrons augmente plus rapidement que celui des travailleurs «ordinaires».

Prenez le nouveau chef de la Banque Royale. En 2014, sa rémunération globale a atteint 12,7 millions de dollars. Pour mettre ce chiffre en perspective, disons qu'un Québécois moyen devrait travailler environ 300 ans pour gagner autant.

Amusons-nous un peu plus avec les comparaisons...

Le faramineux salaire du patron de la Royale équivaut à 254 000$ par semaine, si l'on considère qu'il prend seulement deux semaines de vacances par année. C'est dire qu'en une semaine, il gagne davantage que la majorité des professionnels durant une année entière, eux qui ont pourtant étudié longtemps et qui assument des responsabilités importantes. Si on tient pour acquis qu'il travaille six jours sur sept, le grand patron de la Royale empoche donc 42 000$ par jour. En une journée, il reçoit autant que le Québécois moyen durant une année complète.

S'il travaille 12 heures par jour, cela signifie qu'il gagne 3500$ l'heure. C'est 340 fois plus que le salaire minimum qui s'élève à 10,35$ au Québec.

En allant encore un peu plus loin, on pourrait aussi dire que le dirigeant de la Royale gagne près de 60$ la minute, ou 1$ la seconde. S'il perd 15 minutes à bavarder (je suis certaine que ça n'arrive jamais!), la Banque vient de perdre 900$. C'est pratiquement le salaire hebdomadaire d'un Québécois.

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Les inégalités salariales ont pratiquement doublé depuis 30 ans au Canada. Et c'est essentiellement à cause de l'augmentation de salaire des ultrariches, démontre une étude publiée hier par la Chaire de recherche Industrielle Alliance sur les enjeux économiques des changements démographiques.

«Quand on regarde ça attentivement, la hausse vient pratiquement exclusivement du dixième de un pour cent», constate Jean-Yves Duclos, professeur d'économie à l'Université Laval, qui a rédigé l'étude avec Mathieu Pellerin.

«Les autres individus, y compris ceux qui font partie du top 1% dont on parle souvent, ont connu une augmentation de leur rémunération. Mais elle n'a rien à voir avec celle du 0,1%», précise le professeur.

Voici les chiffres. En moyenne, les Canadiens qui travaillent à temps plein ont vu leur rémunération horaire passer de 23$ en 1980 à 27$ en 2010, en dollars constants. Il s'agit d'une hausse de 15%.

Durant ces 30 ans, l'augmentation a été de 22% pour les 10% de travailleurs les mieux rémunérés. Elle a été de 46% pour le fameux 1%.

Pendant ce temps, le groupe des 0,1% les mieux payés a vu son salaire carrément doubler, pour atteindre 324$ l'heure en 2010. À 40 heures par semaine, cela fait un salaire de plus de 650 000$ par année.

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Dans certains pays, l'accroissement des iniquités salariales s'explique en bonne partie par l'évolution de la composition du bassin de travailleurs. Mais au Canada, pas tant que ça.

Le marché du travail a pourtant bien changé depuis 30 ans.

Par exemple, les travailleurs à temps plein sont deux fois plus nombreux à détenir au moins un baccalauréat. À l'inverse, les travailleurs qui n'ont pas terminé leur secondaire sont quatre fois moins nombreux.

Les travailleurs scolarisés ont obtenu des augmentations de salaire, tandis que les autres ont vu leur rémunération fondre, accroissant ainsi les écarts de salaire.

Par ailleurs, la population a vieilli depuis 30 ans, si bien qu'on trouve davantage de travailleurs expérimentés sur le marché du travail. Or, les travailleurs qui possèdent de 20 à 29 ans d'expérience ont accru leur rémunération davantage que les autres groupes, creusant ainsi l'écart salarial entre les plus vieux et les plus jeunes travailleurs.

Les 30 dernières années ont aussi été marquées par la progression des femmes sur le marché du travail, qui représentaient 43% de la main-d'oeuvre à temps plein en 2010, comparativement à seulement 31% en 1980. Comme les femmes gagnent un salaire horaire inférieur à celui des hommes, ce phénomène a aussi contribué à accroître les iniquités salariales, en général.

Malgré tout, ces différents facteurs n'expliquent qu'une mince partie (20%) de l'augmentation des iniquités salariales au Canada, conclut l'étude.

Cela porte à croire qu'investir dans l'éducation et mettre en place des politiques pour encourager l'égalité des chances ne suffit pas pour lutter contre les iniquités.

La fiscalité a aussi un rôle crucial à jouer pour redistribuer la richesse. À ce chapitre, le Canada se targue d'être un pays égalitaire. Mais les chiffres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) démontrent que d'autres pays, comme l'Allemagne, en font encore plus pour réduire les écarts de revenus.