La CARRA (Commission administrative des régimes de retraite et d'assurances), qui gère la retraite des fonctionnaires provinciaux, ne s'est pas encore remise de l'implantation cauchemardesque de son nouveau système informatique il y a quatre ans. Des milliers de retraités ont vu leur rente réduite après coup et sont forcés de rembourser des montants versés en trop, même si l'erreur provient de la CARRA. De quoi mettre en péril leur santé financière...

Lise n'a pas eu la vie facile. Victime d'un congédiement injustifié dans les années 90, elle a frôlé l'itinérance avant d'être réintégrée en emploi à l'issue de longues années de combat. Puis, il y a eu cette chute accidentelle de son balcon qui lui a causé des fractures multiples. Il lui a fallu 22 mois pour réapprendre à marcher.

Alors, quand Lise a reçu une bonne nouvelle de la CARRA, elle pensait que la vie lui souriait enfin. Mais c'était une erreur. Une bête erreur de calcul de la CARRA qui lui a créé une dette artificielle de 15 000$.

Voici le topo. Lise a pris sa retraite en janvier 2010. Sa rente s'élève à 1525$ par mois, selon les calculs de la Commission administrative des régimes de retraite et d'assurance (CARRA) qui administre les rentes des employés de Québec.

En avril 2011, la CARRA lui envoie une lettre l'informant que sa rente sera bonifiée à la suite d'une modification apportée à son dossier par son ancien employeur. Lise doit recevoir environ 425$ de plus par année. La lettre précise aussi qu'un montant lui sera versé rétroactivement.

En mai, Lise reçoit effectivement une rente bonifiée... à 3100$ par mois, sans compter un paiement forfaitaire de 7830$. Elle n'en croit pas ses yeux.

Pour en avoir le coeur net, elle téléphone à la CARRA. Un premier agent lui confirme la validité des versements. Toujours abasourdie, la dame rappelle un peu plus tard pour se faire confirmer l'information par un deuxième agent. Tout est beau, lui jure-t-on.

Comme de fait, la CARRA continue de lui verser 3100$ les mois suivants. La vie est belle! Pour une fois, Lise décide de se gâter. Elle va passer 10 jours sur la côte Est. Elle s'achète un climatiseur. Bref, elle dépense l'argent.

Mais en octobre, c'est la douche froide. La CARRA a réalisé sa bourde. Lors de la modification de sa rente, un agent a commis une erreur d'entrée de données. En réalité, sa rente mensuelle n'est que de 1575$, presque la moitié de ce qu'elle a touché les derniers mois. Pour rétablir la situation, la CARRA exige que Lise rembourse près de 15 000$.

Pardon? 15 000$? Où voulez-vous qu'une retraitée à faibles revenus déniche un tel montant? Et surtout, pourquoi devrait-elle payer pour l'erreur de la CARRA?

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Malheureusement, la situation de Lise est loin d'être un cas unique. «On a vu plein d'histoires d'horreur», m'a certifié Lucie Martineau, présidente générale du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec.

En 2010, l'implantation du nouveau système informatique à la CARRA a tourné au cauchemar. Les erreurs se sont multipliées. Les plaintes contre la CARRA auprès du bureau du Protecteur du citoyen ont explosé.

En 2013, la CARRA a lancé un blitz de révision de milliers de rentes qui n'avaient pas pu l'être à cause des problèmes informatiques. Le temps pressait, car la CARRA dispose de trois ans après le départ à la retraite d'un individu pour revoir les chiffres.

Depuis deux ans, la CARRA a donc révisé plus de 5500 rentes, certaines à la hausse, d'autres à la baisse.

Pour Mme Martineau, impossible de faire confiance au système. «Je suggère à tout le monde de demander systématiquement une révision de rente. Ce n'est pas idéal: ça embourbe encore plus le système», avoue-t-elle. Mais c'est la meilleure façon d'éviter les ennuis plus tard.

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Et Lise dans tout ça? Militante dans l'âme, la dame de 70 ans s'est tenue debout. Elle a déposé une plainte à la CARRA. Elle a présenté une demande au comité de réexamen. Elle a exhorté le bureau du Protecteur du citoyen d'intervenir en sa faveur. Peine perdue.

«Je comprends que la dame a été de bonne foi. Je déplore vraiment la situation. Un seul cas, c'est toujours un cas de trop. Mais il faut voir l'ensemble de l'oeuvre. On émet 360 000 rentes par année. On est au-dessus de 98% de conformité», m'a répondu la porte-parole de la CARRA, Shanie Lévesque-Baker.

Vrai, personne n'est parfait. Les erreurs, ça existe. Mais quand on les découvre, il faut les admettre et en accepter la responsabilité. Pas en faire porter le poids par la victime.

La CARRA réplique qu'il ne s'agit pas de son argent, mais de celui de tous les retraités. C'est donc par souci d'équité envers les autres participants au régime de retraite qu'elle corrige les erreurs.

Mais au-delà de l'équité, ne croyez-vous pas que les autres participants seraient prêts à faire preuve de solidarité et à éponger la «dette» des retraités qui se retrouvent dans de beaux draps?

«Réduire une rente et réclamer un montant versé antérieurement, à notre avis, c'est très souvent inacceptable, car ça place les retraités dans une situation de précarité», m'a dit la protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain.

Dans son rapport annuel de 2009-2010, le Protecteur du citoyen avait d'ailleurs recommandé que la loi soit modifiée pour que la CARRA puisse accorder une remise de dettes aux retraités victimes d'une erreur indétectable, le même genre de pouvoir discrétionnaire dont dispose déjà la Régie des rentes du Québec.

La CARRA était d'accord. Mais quatre ans plus tard, rien n'a bougé. Toutefois, la protectrice a des raisons d'être optimiste que les changements réglementaires seront bientôt instaurés. Croisons-nous les doigts!

Sauf que pour Lise, ça ne changera rien. Après avoir analysé son dossier, le Protecteur du citoyen a jugé que l'erreur était «raisonnablement décelable» par la retraitée. Bien sûr! C'est justement pour cela qu'elle a téléphoné deux fois à la CARRA pour confirmer l'information. Mais comme les appels n'ont pas été conservés, les preuves sont disparues. Et c'est tant pis pour elle.

D'autres histoires d'horreur de la CARRA

Dans son rapport annuel 2013-2014, le Protecteur du citoyen a mis en lumière plusieurs situations troublantes à la Commission administrative des régimes de retraite et d'assurances (CARRA). Voici quelques exemples.

Calculs erronés, rente diminuée

En 2008, une dame a pris sa retraite en se fiant sur les calculs de la CARRA. Malheureusement, le calcul de sa rente était erroné, ce que la retraitée ne pouvait pas déceler. Comment aurait-elle pu se douter de l'erreur? La CARRA lui avait confirmé le montant trois fois plutôt qu'une.

Ce n'est que quatre ans plus tard que la CARRA a avisé la retraitée de sa bourde et surtout des conséquences: une baisse d'environ 2000$ de sa rente annuelle et le remboursement de plus de 6000$ versés en trop.

Un coup très dur pour la dame qui avait pris sa retraite de bonne foi en se fiant sur la CARRA. Avoir su, elle aurait peut-être retardé sa retraite. Mais quatre ans plus tard, elle ne peut plus revenir en arrière.

Malgré l'intervention du Protecteur du citoyen, la CARRA refuse de passer l'éponge. La rente de la dame sera amputée. Point.

Délais déraisonnables

Printemps 2010, une citoyenne dépose une demande de rente à la CARRA. Le système informatique nouvellement implanté ne parvient pas à traiter sa demande. La dame a beau appeler à répétition, ce n'est qu'après 10 mois que la CARRA identifie le problème technique.

Un an plus tard, la retraitée reçoit finalement un premier paiement, alors que la CARRA s'était engagée à traiter les dossiers dans un délai de 75 jours.

Mais ce n'est pas tout: le montant forfaitaire versé rétroactivement par la CARRA a gonflé artificiellement les revenus de la retraitée en 2011, ce qui lui a fait perdre son Supplément de revenu garanti (SRG). Malgré les pressions du Protecteur du citoyen, la CARRA refuse de la dédommager pour ce manque à gagner, arguant qu'elle n'est pas responsable de la planification financière des participants.

Intérêts mystères

Plusieurs personnes ont fait appel au Protecteur du citoyen après s'être aperçues que la CARRA leur avait imposé des intérêts injustement. Ces gens avaient tous racheté des années de service en transférant des fonds de leur REER.

La CARRA leur avait transmis un formulaire à remplir et à retourner avant une date précise. Mais la documentation de la CARRA ne précisait pas que l'institution financière responsable du REER devait transférer les fonds avant cette date d'échéance, pour éviter des intérêts.

Le Protecteur du citoyen a conclu que non seulement la CARRA avait mal informé les participants, mais que les délais de traitement imputables à la CARRA avaient augmenté le paiement d'intérêts. Heureusement, la CARRA a accepté de rembourser les citoyens et de clarifier sa documentation.

RREGOP: changement sans préavis

Plusieurs citoyens ont aussi dénoncé le manque d'information entourant le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP), plus important régime de retraite de l'État avec 525 000 participants actifs.

Dans sa documentation sur la possibilité de racheter des années de service, la CARRA précisait deux taux pour les demandes reçues avant ou après une date précise. Mais cette date a changé à la suite d'une modification législative.

Les participants qui croyaient que les taux étaient garantis jusqu'à la date butoir se sont retrouvés à payer plus cher que prévu. Le Protecteur du citoyen juge que la CARRA devrait les dédommager, car sa documentation ne précisait nulle part que les taux pouvaient changer sans préavis. Mais la CARRA refuse.

Évolution des plaintes contre la CARRA auprès du Protecteur du citoyen

Incohérences

• 150 000 dossiers contenaient des incohérences.

• 130 000 dossiers ont été réglés.

• Il en reste 20 000, mais aucun retraité n'est visé.



Révisions


• 200 000 dossiers devaient être revus.

• Tous ces dossiers ont été épluchés.

• 7800 participants ont fait l'objet d'un ajustement de cotisation.

Les rentes « retouchées » par la CARRA

• 2010 : aucun dossier

• 2011 : 4 dossiers

• 2012 : 355 dossiers

• 2013 : 2723 dossiers (autant à la hausse qu'à la baisse)

• 2014* : 2846 dossiers (70 % à la hausse)



* Huit premiers mois de l'année.




Source : CARRA