Enfin! Visa et MasterCard se sont entendus, hier, pour réduire les frais qu'ils imposent aux commerçants et, par la bande, à tous les consommateurs canadiens.

Les deux géants, qui contrôlent 90% du marché, n'avaient plus vraiment le choix. Le Tribunal de la concurrence leur avait reproché l'année dernière leurs frais exagérés. Le gouvernement Harper, qui avait promis d'intervenir dans son plus récent budget, les menaçait d'imposer une réglementation pour freiner l'escalade des frais depuis cinq ans.

De leur propre chef, Visa et MasterCard ont donc décidé de plafonner leurs frais «interchange» à un taux moyen de 1,5% pour 5 ans. Il faut savoir que chaque fois qu'un client utilise sa carte de crédit pour acheter un produit, le commerçant doit verser des frais d'acceptation qui vont jusqu'à 3% pour les cartes qui ont les programmes de récompenses les plus généreux (par exemple, platine, infinite).

Le plus gros de cette commission (environ 80%) est remis à l'institution financière du détenteur de la carte, sous forme de frais d'interchange. L'institution financière conserve les trois quarts de la cagnotte et remet le reste aux détenteurs de cartes sous forme de récompenses.

Pour financer ces programmes de fidélisation, le commerçant doit verser une commission allant jusqu'à 3$ par tranche de 100$. Ces frais grugent de plus en plus la marge de profit des détaillants qui n'ont pas le droit de surfacturer les clients qui paient avec des cartes de crédit privilège.

À la place, ils relèvent leur prix de vente. Ils refilent ainsi le coût des cartes de crédit à l'ensemble des clients, y compris ceux qui utilisent un mode de paiement moins coûteux comme la carte de débit ou l'argent comptant.

Quand on y pense, ce système est complètement tordu. Pour augmenter leur part de marché, les émetteurs de cartes de crédit offrent de séduisants programmes de fidélisation, surtout aux clients les mieux nantis. Et ces récompenses sont «subventionnées» par tous les clients, y compris les plus pauvres qui n'ont pas les moyens d'obtenir une carte de crédit, encore moins une carte privilège.

En réalité, il s'agit d'un mécanisme malsain qui incite les consommateurs à payer le maximum à crédit. Et les clients qui ont le malheur de ne pas rembourser leur compte au complet à la fin du mois se font imposer des frais d'intérêt de 20%.

Qui est gagnant? L'émetteur de la carte, bien sûr, qui fait de l'argent des deux bords, avec le commerçant et avec le consommateur.

Trop peu, trop tard

Même si les consommateurs ne les voient pas passer, les frais d'interchange représentent une somme colossale: de 5 à 7 milliards de dollars par an.

L'engagement de Visa et MasterCard doit permettre de réduire ces frais de 10%, à partir d'avril 2015. Cela représente une économie potentielle de 500 à 700 millions pour les Canadiens.

Notez que l'annonce porte uniquement sur les cartes de consommateurs, pas sur les cartes émises à des entreprises. De plus, American Express, qui a un mode de fonctionnement différent, n'a pas eu à prendre d'engagement.

Tant les groupes de défense de consommateurs que les lobbys des détaillants se réjouissent de l'annonce du plafonnement des frais d'interchange. Tous conviennent qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction. Mais pas d'une grande avancée.

La sénatrice Pierrette Ringuette, qui avait instauré un projet de loi privé pour réglementer les frais des cartes de crédit, a même affirmé que la réduction annoncée était «pratiquement sans intérêt».

Elle souligne que Visa et MasterCard ont haussé leurs frais d'environ 25% depuis 2 ans. Alors, en les rabaissant de 10%, on ne revient même pas 2 ans en arrière. Dire que ça fait au moins sept ans que les détaillants luttent contre ces frais!

À 1,5% en moyenne, les frais d'interchange imposés au Canada resteront parmi les plus élevés du monde. En comparaison, la France limite les commissions d'interchange à 0,28%. L'Union européenne veut les plafonner à 0,30%. L'Australie a restreint les frais à 0,50% en moyenne, indique le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD).

Mais en Australie, l'expérience démontre que les commerçants ont gardé pour eux les bénéfices de leur lutte contre Visa et MasterCard. Pour les clients, pas d'économie!

Ottawa promet donc d'avoir les détaillants à l'oeil pour s'assurer qu'ils refilent les économies à leur clientèle. «C'est sûr que les clients vont voir des économies», assure Nathalie St-Pierre, vice-présidente au Québec du CCCD.

Elle cite une étude américaine démontrant que 69% des économies réalisées en raison de la réduction des commissions d'interchange ont été transférées aux consommateurs dans la première année seulement.

Mais en contrepartie, les consommateurs doivent s'attendre à un ajustement des règles de leur carte de crédit. Avec moins d'argent pour financer leur programme de récompenses, il y a fort à parier que les émetteurs vont réduire les avantages.

Faudra-t-il dépenser plus avant d'obtenir un billet d'avion gratuit? Verra-t-on une hausse des frais annuels des cartes de crédit? Ça reste à voir...