Ne cherchez pas les films de Xavier Dolan sur Netflix. Même les plus grands succès du box-office québécois comme Bon cop Bad cop n'y sont pas. Voilà pourquoi je me suis désabonnée de ce système de vidéo sur demande: je n'y trouvais jamais les films que j'avais envie d'écouter. Du contenu canadien, il n'y en a pratiquement pas. Du contenu québécois, encore moins.

Pourtant, l'entreprise américaine est devenue un poids lourd de la télé au Canada. Mais elle refuse de suivre nos règles du jeu.

Depuis quelques jours, Netflix a entamé un bras de fer avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) qui a tenu une audience publique sur l'avenir de la télévision, au début du mois de septembre. L'opportunité de soumettre les fournisseurs de vidéo sur l'internet à certaines règles, notamment sur le financement du contenu canadien, était au coeur des réflexions.

C'est dans ce contexte que le CRTC a demandé à Netflix et Google de lui fournir des statistiques: nombre d'usagers canadiens, croissance des revenus publicitaires envisagée, taille des investissements en production canadienne, etc.

Mais les deux entreprises ont refusé net.

Lundi, le CRTC a renchéri en menaçant les entreprises récalcitrantes d'effacer le témoignage qu'elles ont présenté lors des audiences.

Réponse de Netflix: allez-y. Effacez tout. On s'en balance.

En fait, l'entreprise américaine prétend qu'elle n'est pas soumise à la juridiction du CRTC puisqu'elle n'a aucune présence physique au Canada. Arrogante, dites-vous?

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Qu'en est-il au juste? Le web relève-t-il du CRTC?

Cela ne fait pas de doute, répond Pierre Trudel, professeur de droit à l'Université de Montréal. «Une entreprise qui propose des émissions au public canadien, que ce soit Netflix ou Tou.tv, tombe sous la définition d'une entreprise de radiodiffusion telle qu'elle est consignée dans la loi», dit-il.

Il est vrai que les nouveaux médias bénéficient d'une exemption complète des règles du CRTC depuis 1999, ce qui leur a laissé beaucoup de temps pour grandir sans encadrement. Mais elles n'en demeurent pas moins sous l'autorité du CRTC.

Que ces fournisseurs n'aient pas de présence physique au Canada n'y change rien.

Que ces fournisseurs offrent un service à la carte ne leur permet pas non plus de s'exclure des règles visant les radiodiffuseurs, comme certains le prétendent. «Cet argument a été rejeté partout, y compris aux États-Unis», dit Me Trudel.

Au Canada anglais, certains colportent aussi l'idée que le contenu diffusé sur le web ne peut pas être réglementé en vertu de la sacro-sainte liberté d'expression.

«C'est l'argument le plus délirant, s'exclame Me Trudel. Quand j'entends ça, je tombe en bas de ma chaise. Il y a plein d'activités sur l'internet qui sont réglementées. Ce n'est pas parce qu'on arrive sur l'internet que soudainement la réglementation ne s'applique plus.»

Par exemple, les agences de voyages en ligne, comme Expedia, sont soumises à la Loi sur la protection du consommateur. Et les firmes de courtage sur l'internet doivent se plier aux règles des commissions des valeurs mobilières.

Dans tous les autres secteurs d'activité, on voit bien qu'il serait absurde de ne pas appliquer les mêmes règles pour tout le monde. Pourquoi en serait-il autrement dans l'univers de la télévision?

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Depuis fort longtemps, nos règles font en sorte qu'une partie des sommes que les Canadiens dépensent pour leurs services de télédiffusion sont réinvesties dans la production de contenu canadien.

Or, le CRTC a laissé le web grandir trop longtemps sans balise. Aujourd'hui, il se retrouve avec une bête à maturité, plus difficile à dresser.

Désormais, deux Canadiens sur cinq écoutent la télé sur l'internet. Et le taux de pénétration de Netflix atteint 29% chez les anglophones (quoiqu'il reste quatre fois moins élevé chez les francophones).

Pour quelle raison les Netflix de ce monde continueraient-ils d'être exemptés des règles du CRTC? N'est-ce pas inéquitable pour les diffuseurs traditionnels? Ceux-ci pourraient même être tentés de se concentrer sur l'internet afin d'échapper aux contraintes.

Mais Ottawa ne veut rien entendre de réglementer le web. Au beau milieu des audiences, la ministre fédérale du Patrimoine, Shelly Glover, a déclaré sur son compte Twitter qu'elle ne permettrait pas une nouvelle «taxe» sur Netflix ou YouTube.

Il est très malvenu pour une ministre d'intervenir dans le processus du CRTC, qui est un tribunal indépendant, rappelons-le.

Si Ottawa veut participer au débat, il peut donner une directive claire au CRTC, comme la loi le lui permet. Mais évidemment, il devra alors expliquer comment il souhaite s'y prendre pour éviter l'érosion du contenu canadien à la télévision, ce qui est plus complexe que de lancer le mot «taxe» sur Twitter, comme on brandit un épouvantail pour faire peur au grand public.

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La télévision sur l'internet

1,9 heure

En 2013, les Canadiens ont écouté 1,9 heure de télévision sur l'internet par semaine, par rapport à 1,3 heure en 2012.

40%

L'an dernier, 40% des adultes ont regardé la télévision sur l'internet. Le pourcentage est plus élevé chez les anglophones (42%) que chez les francophones (39%).

10%

Le pourcentage de francophones qui ont regardé la télévision sur l'internet au moyen d'une tablette a plus que doublé, passant de 4% en 2012 à 10% en 2013.

12%

Chez les anglophones, l'écoute de la télévision sur le téléphone cellulaire a augmenté de 7% en 2012 à 12% en 2013. Chez les francophones, cet accès a augmenté de 4% à 7%.

7%

Le taux d'adoption de Netflix est passé 5% à 7% chez les francophones, mais il reste quatre fois moins élevé que chez les anglophones (29%).