Que vous achetiez sur un site web étranger ou sur la rue Sainte-Catherine, vous devriez payer les mêmes taxes. C'est la loi.

Mais en pratique, de nombreux Québécois ne paient ni la TPS ni la TVQ sur leurs transactions en ligne, profitant allègrement d'une faille qui s'élargit de jour en jour.

Pour l'État, le manque à gagner est énorme. Québec perd 164 millions de dollars par an, évalue le ministère des Finances. Un chiffre en pleine croissance qui n'inclut que les achats sur des sites étrangers, pas ceux des autres provinces.

Non seulement cette entourloupette fait perdre des sommes colossales aux gouvernements, mais en plus elle constitue une concurrence déloyale pour les commerçants de chez nous qui offrent des services aux consommateurs et qui créent de l'emploi dans la province.

Le Conseil québécois du commerce de détail rappelle, à juste titre, que les détaillants embauchent près d'un demi-million de travailleurs au Québec, soit 12 % des emplois et 6 % du produit intérieur brut.

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Mais la faille est très difficile à colmater.

En théorie, la TPS et la TVQ s'appliquent sur les produits achetés par des Québécois sur des sites étrangers, puisque c'est le lieu de résidence du client qui détermine les taxes.

Or, beaucoup de sites ne perçoivent pas les taxes. Quand le bien passe la frontière, Postes Canada a le mandat de les appliquer. Mais les mailles du filet sont très larges.

C'est sans compter que beaucoup de produits intangibles ne traversent même plus la frontière (chansons, logiciels, livres, etc.).

L'État oblige les commerçants étrangers qui ont une présence physique ou des serveurs au Canada à percevoir les taxes.

Mais ces concepts sont totalement dépassés. Un géant du web peut très bien faire des millions au Canada sans y avoir d'installations et déplacer ses serveurs en Inde, comme de nombreux cybercommerçants le font pour déjouer les règles.

De son côté, le consommateur canadien a l'obligation de s'autocotiser en remplissant un formulaire, si un commerçant étranger n'a pas prélevé de taxes.

Les Québécois qui achètent dans une autre province, où les taxes sont inférieures (voir tableau), doivent aussi envoyer un chèque au fisc. Mais ils ne sont pas tenus de le faire si le montant des taxes est inférieur à 35 $ sur un mois, ce qui correspond à des achats d'environ 350 $.

Mais c'est une blague. Qui remplit vraiment ce formulaire ?

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Nul doute, les règles doivent être revues. Elles n'ont pas suivi le déploiement fulgurant du commerce en ligne.

Dans son plus récent budget, Ottawa a lancé des consultations publiques pour trouver des solutions à cette érosion fiscale.

Certains croient qu'il faudrait demander aux Visa, MasterCard, PayPal et autres grands systèmes de paiement électronique de ce monde de percevoir les taxes.

Après tout, ces géants sont la clé de voûte des transactions en ligne. Ils sont le mieux placés pour s'assurer que les taxes soient payées en bonne et due forme.

Au Québec, on leur a déjà imposé certaines obligations pour protéger les consommateurs dans le cyberespace. Par exemple, les émetteurs de cartes de crédit on l'obligation de procéder à une rétrofacturation en allant rechercher l'argent dans le compte du commerçant, peu importe où il se trouve dans le monde, si le client n'a pas reçu le produit commandé.

Pourquoi ne pas aller plus loin en leur imposant un rôle de perception des taxes ?

« Ce ne serait plus le fournisseur qui percevrait les taxes, mais plutôt un intermédiaire, ce qui va à l'encontre de tous les principes de taxation à l'échelle internationale », répond Me Étienne Gadbois, spécialiste en taxes à la consommation chez De Grandpré Chait.

Autre possibilité : exiger que les commerçants étrangers qui vendent chez nous perçoivent les taxes et les remettent au fisc. C'est l'avenue empruntée par l'Afrique du Sud et certains pays européens.

En théorie, c'est très bien. Mais en pratique, comment les autorités fiscales feront-elles pour forcer une entreprise étrangère à se soumettre à ses règles ? Si l'entreprise n'a pas de bureaux, pas d'employés, pas d'actifs chez nous, le fisc va courir longtemps pour avoir son argent.

Le risque de réputation est parfois suffisant pour inciter les multinationales à se plier aux règles des pays où elles font des affaires.

Prenez Starbuck au Royaume-Uni. La chaîne de cafés a subi un coûteux boycottage lorsque les Anglais ont appris qu'elle ne payait pas un shilling d'impôt dans leur pays, même si elle y réalisait des ventes de plusieurs centaines de millions par année. Tout ça grâce à une stratégie fiscale légale, mais immorale. Starbuck a dû faire amende honorable.

Mais beaucoup de petits cybercommerçants moins connus du grand public se contrefichent du risque de réputation, surtout que leurs clients sont souvent heureux d'éviter les taxes de leur pays, qu'ils jugent excessives. Loin de provoquer un boycottage, la révélation qu'ils ne perçoivent pas les taxes à la consommation pourrait leur faire de la publicité !

Alors, comment éviter que les cybercommerçants étrangers grugent notre assiette fiscale ? Comme il s'agit d'un problème planétaire, la solution passe par des efforts concertés à l'échelle mondiale. L'Organisation de coopération et de développement économiques planche là-dessus. À suivre.