Pauvre salaire minimum! Toujours coincé entre deux feux. Toujours tiraillé entre ceux qui réclament son abolition au nom de la création d'emplois - c'était le cas de l'Institut économique de Montréal (IEDM) cette semaine - et ceux qui militent pour son augmentation afin de lutter contre les inégalités sociales.

Partout à travers le monde, le débat fait rage, cette année plus que jamais. Dimanche dernier, les Suisses ont rejeté par référendum le salaire minimum de 22 francs de l'heure (environ 27$) qui aurait été le plus élevé du monde, craignant que cela pousse les employeurs à faire des mises à pied.

Au début de mai, le président américain Barack Obama a aussi perdu sa bataille, lui qui voulait donner une augmentation de salaire aux Américains qui tirent le diable par la queue avec une «McJob» sous-payée. Les sénateurs républicains ont bloqué son projet de faire passer le salaire minimum de 7,25 à 10,10$US de l'heure.

Par contre, l'Allemagne vient de prendre un tournant historique. Contrainte par ses alliés sociaux-démocrates, la chancelière conservatrice Angela Merkel a accepté la mort dans l'âme d'instaurer un salaire minimum généralisé de 8,50 euros, une grande première pour l'économie la plus puissante d'Europe.

Même la Chine, manufacture de la planète, vient de rehausser de 18% son salaire minimum, dans l'espoir de relancer sa consommation intérieure.

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Pendant ce temps au Québec, l'IEDM plaide plutôt pour l'abolition du salaire minimum dans le but de relancer l'économie.

Bien d'accord pour la relance économique! Mais pas sur le dos du salaire minimum qui a son importance. Il sert à protéger les travailleurs au bas de l'échelle, le plus souvent des jeunes ou des femmes. À offrir des conditions décentes aux plus vulnérables. À lutter contre la pauvreté.

Avec un salaire minimum à 10,35$, le Québec y arrive de justesse. Même en travaillant à temps plein toute l'année, ce salaire équivaut des revenus d'environ 19 000$, après impôts, prestations et cotisations salariales... à peine un brin au-dessus de la mesure de faibles revenus que l'Institut de la statistique du Québec estime à 18 957$ en 2013. Et bien sûr, le coût de la vie est plus élevé dans les grandes villes.

Faudrait-il plutôt hausser le salaire minimum? Pas nécessairement, car cela pousserait des travailleurs au chômage, ce qui est bien loin de l'objectif.

En fait, chaque hausse de 1% du rapport entre le salaire minimum et le salaire moyen entraine une baisse approximative de 8000 emplois au Québec, a déjà conclut l'économiste Pierre Fortin, dans une étude qui s'appuyait sur les nombreuses enquêtes menées sur cette question.

Présentement, le ratio entre le salaire minimum et le salaire moyen des travailleurs s'établit à 47%, dans la bonne moyenne canadienne. Ce ratio a déjà atteint 55% à la fin des années 70, sous l'impulsion de Robert Bourassa, grand partisan d'un salaire minimum élevé.

Mais lorsque la récession des années 80 a poussé le taux de chômage chez les jeunes à 26%, Québec a gelé le salaire minimum à 4$ pendant 5 ans, si bien qu'il ne représentait plus que 36% du salaire moyen en 1986.

Depuis ce creux, le ratio est remonté et s'est stabilisé autour de 45-47%. Dépasser cette borne serait dangereux, croit M. Fortin.

De toute façon, une hausse du salaire minimum n'est pas nécessairement le meilleur outil pour sortir les gens de la pauvreté, car la très grande majorité des Québécois qui vivent sous la mesure de la pauvreté ne travaillent tout simplement pas.

Serait-il préférable d'abolir carrément le salaire minimum et de le remplacer par une aide fiscale directe aux gens à faibles revenus? Les employeurs seraient aux petits oiseaux. Mais qui paierait la note, dites-moi? L'État? En cette période d'austérité, il ne faut pas rêver en couleurs!

Et puis, franchement, il me semble que les entreprises ont leur bout de chemin à faire dans la lutte contre les inégalités, elles qui ne se gênent pas pour accorder des augmentations de salaire juteuses à leurs patrons.

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Pour couper la poire en deux, il serait possible d'établir un salaire minimum différencié, un peu comme au Royaume-Uni où le salaire minimum des jeunes de 18 ans et moins est presque deux fois moindre que celui des adultes qui s'élève à 6,31 livres (11,60$).

Cela favoriserait l'emploi chez les jeunes sans expérience qui peinent à se trouver un petit boulot d'été, tout en protégeant les adultes qui vivent du salaire minimum.

Mais en France, l'idée d'implanter un salaire minimum intermédiaire pour les chômeurs de longue durée et les jeunes sans formation vient de déclencher une levée de boucliers. Provocation! Esclavagisme! Tout y est passé.

Ce genre de clause orphelin soulèverait assurément les protestations au Québec.

Alors, le salaire minimum n'est peut-être pas le meilleur outil pour lutter contre la pauvreté. Mais il fait partie d'une panoplie de mesures qui aident les gens les plus vulnérables. Il est condamné à rester dans la zone de compromis qui ne fait plaisir à personne.