Au début de la semaine, une étude a fait ressortir une fois de plus le déficit intergénérationnel au Québec. Il faut taper sur le clou. C'est une question d'équité.

Déjà, on sait que les jeunes vont verser des cotisations trois fois plus élevées à la Régie des rentes du Québec, leur vie durant, notamment parce que les boomers qui les ont précédés ont sous-cotisé pendant le plus clair de leur carrière.

Et le fardeau des dépenses en santé est encore plus inquiétant pour les jeunes. Avec le vieillissement de la population, on prévoit que les coûts du système de santé vont doubler d'ici 20 ans, ce qui accaparera 70% du budget de la province. Insoutenable.

Quand on regarde le portrait d'ensemble, ça donne des frissons dans le dos. Mardi dernier, la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques a présenté une étude fouillée sur la viabilité des finances publiques du Québec, dont vous a déjà parlé en détail mon collègue Francis Vailles.

En quelques mots, la croissance économique du Québec sera plus lente, à cause du vieillissement de la population. Mais les dépenses vont augmenter plus rapidement, surtout à cause de la santé et du service de la dette.

À ce rythme, le Québec s'engage inexorablement dans une série de déficits structurels. Selon des hypothèses solides et raisonnables, le «trou» budgétaire atteindrait 2,7% du produit intérieur brut (PIB) en 2030. Il se chiffrerait à 5,1% en 2050.

Ces chiffres abstraits ne vous disent rien? Voyons ça autrement: pour garder les services intacts tout en maintenant l'équilibre budgétaire, il faudrait hausser la TVQ de 6 points de pourcentage en 2030 et de 12 en 2050. Ouille!

Bien sûr, 2050 c'est loin. Mais même en regardant à moyen terme, les finances du Québec sont sur une pente glissante. Et même en utilisant des hypothèses très optimistes, les finances de la province vont plonger dans le rouge, selon l'étude.

À la fin de la conférence, un de mes anciens collègues a résumé la situation en ces termes crus: On est dans la m...! Au risque de vous paraître vraiment scatologique, je vous raconte une histoire de crottin de cheval qui redonnera peut-être espoir aux jeunes.

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À la fin du XIXe siècle, les chevaux étaient le principal moyen de transport. Ils formaient un rouage essentiel du fonctionnement des grandes villes en pleine expansion.

La population et le niveau de vie augmentaient, tout comme le nombre de chevaux... et la quantité d'excréments. Les 175 000 chevaux qu'on dénombrait à New York produisaient plus de 3 millions de livres de crottin par jour dont il fallait bien se débarrasser.

On empilait donc sur les terrains vacants des montagnes de fumier qui pouvaient atteindre 60 pieds de haut. Et les mouches qui butinaient autour de ces amas nauséabonds répandaient ensuite des maladies dans la ville.

Bref, les chevaux représentaient un enjeu de santé publique majeur. Un problème insurmontable, croyait-on à l'époque. Rien ne semblait pouvoir freiner la tendance.

En 1890, un prévisionniste new-yorkais avait statué qu'il y aurait de la bouse de cheval jusqu'au troisième étage partout à Manhattan dans quelques décennies.

«Dans 50 ans, toutes les rues de Londres seront enterrées sous 9 pieds d'excréments», avait aussi titré le journal britannique Times en 1894.

Pour trouver des solutions, des délégués des quatre coins du monde se sont rassemblés à New York en 1898, lors d'une première conférence internationale d'urbanisme qui devait durer 10 jours. Mais après trois jours seulement, les experts sont repartis chez eux, convaincus qu'il n'y avait rien à faire.

Vous connaissez la fin de l'histoire. L'automobile est arrivée. Dès 1912, il circulait plus de voitures que de chevaux dans les rues de New York.

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Cette crise nous rappelle à quel point il est périlleux de faire des prévisions à très long terme.

Les auteurs de l'étude sur la viabilité des finances du Québec le savent fort bien. «On ne fait pas de prédictions», ont martelé les professeurs Luc Godbout et Pierre Fortin.

Alors pourquoi cet exercice? Le vieillissement de la population est inéluctable. Les changements démographiques auront des répercussions majeures dans une foule de domaines, comme le marché du travail, les régimes de retraite, les soins de santé.

Les gouvernements ne doivent pas se mettre la tête dans le sable. Il faut ajuster le tir dès maintenant. Sinon ce sont les jeunes, beaucoup moins nombreux, qui seront pris avec les problèmes dans 20 ou 30 ans. L'étude réalisée par la Chaire est en quelque sorte une réponse aux demandes de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui insiste pour que les États mesurent la viabilité de leurs finances à long terme.

Cette façon de mesurer l'équité intergénérationnelle a des avantages et des inconvénients. Les détracteurs disent notamment qu'en arrivant à des conclusions alarmantes, ces études peuvent être vite récupérées par des groupes de droite qui veulent mettre la hache dans les services.

À l'inverse, d'autres diront que les prévisions à long terme sont si décourageantes qu'elles donnent envie de rendre les armes sur-le-champ.

Mais il y a une autre leçon à tirer de la crise des chevaux de 1894. Cet épisode cocasse de l'histoire économique nous démontre à quel point les innovations technologiques peuvent régler un problème qu'on pensait insoluble.

Très souvent, la crise est la mère de l'innovation.

Et si la solution pour le Québec était une question d'imagination, de créativité? Allez vite, creusons-nous les méninges! Le trou budgétaire ne disparaîtra pas tout seul comme le crottin des rues de New York.