Pleine forme, jeune soixantaine. Il est entré dans le cabinet du médecin à cause d'un simple mal de ventre. Le jugement a été sans appel: cancer, phase terminale.

Quand des complications l'ont mené à l'hôpital, on l'a laissé végéter aux urgences durant une semaine, dans un espace pas plus grand qu'un placard, au milieu des sans-abri et des toxicomanes du centre-ville de Montréal.

Surprenant qu'il ne soit pas mort à l'hôpital, après la double dose de morphine administrée par l'infirmière. Voulait-elle abréger ses souffrances?

Mais à force de se battre, il a obtenu une place dans un centre de soins palliatifs. Deux mois. C'était le temps qu'il fallait pour qu'il parte dans la dignité. C'était le temps qu'il fallait pour qu'il croise son premier petit-fils, né quelques jours avant sa mort.

Deux mois essentiels, deux mois qui n'avaient pas de prix pour sa famille.

Mais pour le système de santé, bien sûr, ces derniers moments ont un coût très réel. Et avec le vieillissement de la population, une angoissante question se pose: réussirons-nous à faire face à l'escalade des dépenses en soins de santé?

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Projetons-nous dans le temps, jusqu'en 2030. Les simulations donnent froid dans le dos. Dans moins de 20 ans, les coûts du système de santé vont doubler, révèle une étude du CIRANO, publiée hier¹.

Tenez-vous bien: les dépenses en santé vont bondir de 31 milliards à 61 milliards de dollars de 2013 à 2030, passant de 8,4 à 13,5% du produit intérieur brut (PIB).

La santé, qui représente déjà 43% des dépenses totales du gouvernement du Québec, accaparera alors 70% du budget de la province. Ayoye, docteur!

Pour soutenir la santé, voudra-t-on amputer tout le reste? Atrophier l'éducation qui est le deuxième poste de dépenses? Faire des coupes dans les autres services? Je vois déjà le tollé.

Mais si on ne fait rien, le poids des soins de santé deviendra intolérable. Si rien ne change, il faudra augmenter tous les impôts et toutes les taxes du Québec de 60% pour payer la facture. Cela n'a aucun sens, car les Québécois sont déjà les plus taxés en Amérique du Nord.

On ne s'en sort pas, l'accélération des dépenses en santé sera le plus important enjeu de société des prochaines années au Québec. «C'est un débat très difficile, mais il faut le commencer le plus vite possible», insiste l'auteur de l'étude, Jean-Yves Duclos, professeur d'économie à l'Université Laval.

En effet, 2030, ça paraît lointain. Mais c'est presque demain matin. Il faut réagir avant de foncer dans le mur. Sinon, on va se réveiller aux soins intensifs dans 17 ans.

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En 2030, les baby-boomers auront les cheveux blancs. Ils seront nombreux aux urgences, à l'hôpital, aux soins palliatifs. On ne doit pas les laisser tomber.

Mais ça va coûter cher, car les dépenses en santé augmentent avec l'âge. Avant la cinquantaine, elles sont relativement faibles. Mais à partir de 65 ans, les coûts dépassent 5000$ par année, par habitant. Et ensuite, ça grimpe de manière exponentielle. Pour chaque Québécois de plus de 90 ans, il en coûte 23 000$ par année à l'État.

Étonnamment, ce n'est pas le vieillissement de la population qui est le facteur le plus déterminant dans la hausse prévue des coûts de la santé. C'est plutôt l'augmentation structurelle des coûts.

Autrement, le diagnostic serait beaucoup moins grave. L'augmentation des dépenses publiques en santé ne serait «que de 12 milliards», selon l'étude. Et la part de la santé dans le budget du Québec ne passerait que de 42,9 à 48,4%.

Comme on ne peut rien changer au vieillissement de la population, la seule planche de salut est donc de mieux gérer la santé, pour stabiliser les coûts. L'idée n'est pas de geler bêtement les dépenses en réduisant les services. Non, ce serait les patients qui en souffriraient.

Il faut plutôt améliorer l'efficacité du système. Peu de pays dépensent autant d'argent en santé. Malheureusement, notre système n'offre pas un bon rapport qualité/prix.

Une réforme en profondeur s'impose. Le Québec n'a pas le choix.

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L'EXPLOSION DES DÉPENSES EN SANTÉ

[2013 | 2030]

Dépenses annuelles : 31,3 milliards | 61,1 milliards

En proportion du PIB : 8,40% | 13,50%

En proportion du budget total : 42,90% | 68,90%

1. Les dépenses en santé du gouvernement du Québec, 2013-2030: projections et déterminants, Nicholas-James Clavet, Jean-Yves Duclos, Bernard Fortin, Steeve Marchand, Pierre-Carl Michaud.