La Régie des rentes du Québec (RRQ) renferme un déséquilibre intergénérationnel important. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: un retraité de 1974 a reçu 11 fois sa mise, tandis que celui de 2014 n'obtiendra que 2 fois ce qu'il a versé en cotisations.

Pourquoi? D'abord, les retraités ont eu droit à une rente pleine et entière 10 ans après la création de la RRQ, même s'ils n'avaient pas cotisé durant toute leur carrière. L'objectif politique était de sortir les aînés de la pauvreté. Soit.

Ensuite, le gouvernement a toujours tardé avant de relever le taux de cotisation pour compenser l'augmentation de l'espérance de vie, la baisse des rendements, la chute des naissances et la bonification des prestations de la RRQ.

Si on avait écouté les actuaires, on n'en serait pas là, expliquaient Luc Godbout et Yves Trudel, professeurs à l'Université de Sherbrooke, au cours d'une conférence de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, hier midi.

Dès le début, le gouvernement savait très bien que le taux de cotisation était trop faible. À l'issue de négociations entre Québec et Ottawa, il a été fixé à 3,6%, en 1966, alors que Québec préconisait plutôt 4%.

Mais ce n'est que 20 ans après la création de la RRQ que Québec s'est résolu à hausser graduellement le taux de cotisation jusqu'à 5,6% en 1996. Par la suite, la RRQ a mené deux autres vagues d'augmentations, mais toujours avec des années de retard.

«Au Québec, notre plus grande force, c'est la force de l'inertie!», blague M. Trudel.

Quand on regarde en arrière, on constate que durant une longue période (de 1983 à 2000), les rentes versées par la RRQ ont excédé les cotisations de 17 milliards.

Alors que les boomers étaient nombreux sur le marché du travail, la RRQ aurait dû être en pleine période de capitalisation. Pourtant, elle était en mode décaissement. «Mais on ne s'en apercevait pas trop, car la cagnotte continuait d'augmenter grâce aux rendements», mentionne M. Godbout.

Si Québec avait agi plus rapidement, au lieu de pelleter les problèmes en avant, les jeunes ne seraient pas obligés de verser des cotisations de 10,8% à partir de 2017. C'est trois fois plus que la génération précédente.

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Bien sûr, on ne peut pas revenir en arrière. Mais dans le futur, il faut établir un mécanisme pour ajuster le régime au fur et à mesure, sans être à la merci des décisions politiques difficiles, estiment les professeurs.

Beaucoup de pays ont mis en place des mécanismes de rééquilibrage automatiques, rapportait justement l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son Panorama sur les pensions 2013, publié cette semaine.

Dans le budget 2011-2012, Québec a décidé que les cotisations de la RRQ s'ajusteraient automatiquement pour assurer la viabilité du régime. Mais ce n'est pas le mécanisme le plus équitable, puisque le fardeau retombera systématiquement sur les travailleurs.

Au lieu d'ajuster uniquement le taux de cotisation, on pourrait ajuster l'âge de la retraite, mais cela pénaliserait surtout les jeunes.

Sinon, on pourrait hausser les cotisations davantage d'ici 15 ans, alors que les boomers sont au sommet de leur carrière, pour ensuite donner un répit aux générations suivantes.

On pourrait aussi combiner une hausse des cotisations à un gel des rentes, comme le prévoit le Régime de pensions du Canada, l'équivalent de la RRQ dans les autres provinces.

Chez nous, la rente est une vache sacrée. Pourtant, dans bien des pays comme la Suède, l'âge de la retraite et le montant de la rente varient en fonction de l'espérance de vie et d'une série de facteurs économiques. Une manière de s'assurer que chaque travailleur touche son dû.

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Mes deux récentes chroniques sur les régimes de retraite des fonctionnaires de Québec («En Cadillac avec des lunettes roses», «Déficit fantôme de 57 milliards») ont soulevé beaucoup de commentaires, dont celui de Francine Lévesque, vice-présidente de la CSN et responsable des négociations du secteur public, publié dans nos pages.

J'expliquais que leurs régimes de retraite coûtent de plus en plus cher, un peu comme une Cadillac des années 70 qui coûte une fortune en essence.

En effet, les cotisations des fonctionnaires ont plus que doublé en 10 ans. Et le déficit assumé par Québec s'élève maintenant à 57 milliards, si on tient compte d'hypothèses de rendement plus raisonnables que celles utilisées par les actuaires de la CARRA qui tablent 6,25%, alors que le rapport D'Amours proposait un taux d'environ 5%.

Néanmoins, Mme Lévesque estime les actuaires de la CARRA ne portent pas des lunettes roses. «Ces hypothèses sont en tout point conformes aux pratiques exigées par le Conseil des normes actuarielles du Canada», écrit-elle.

Je n'en doute pas. Mais bien des régimes de retraite privés qui sont dans le pétrin aujourd'hui respectaient aussi les normes édictées. Il vaut mieux faire preuve de la plus grande prudence, comme le Régime de retraite des enseignants de l'Ontario (Teachers') qui utilise un taux d'environ 5%, selon son plus récent rapport annuel.

À ceux qui m'accusent de vouloir démolir les régimes de retraite, je tiens à dire que je suis plutôt de celles qui pensent qu'il faut améliorer la couverture des régimes de retraite au Québec.

Le rapport de l'OCDE démontre que le taux de pauvreté des aînés a grimpé au Canada, alors qu'il est en baisse ailleurs dans le monde. Chez nous, les retraités ne peuvent pas compter beaucoup sur l'État qui leur verse à peine 39% de leurs revenus, comparativement à 59% dans l'OCDE.

Il faut retaper notre système de retraite en tenant compte de l'équité entre les générations et de l'équité entre les travailleurs qui ont un régime de retraite et ceux qui n'ont rien du tout.

Personnellement, j'aimerais que tous les Québécois puissent rouler dans une Cadillac neuve, plutôt qu'un modèle des années 70.

Mais il faut vivre avec son temps. Alors, au lieu d'une Cadillac, je propose un petit modèle hybride. Une rente solide versée par l'État. Un régime complémentaire obligatoire qui couvre tous les travailleurs. De l'espace CELI ou REER pour ceux qui veulent se payer un peu plus de luxe.