Au Québec, près de 600 000 fonctionnaires de l'État profitent d'un régime de retraite à prestations déterminées, la «Cadillac» des régimes de retraite... mais un modèle des années 70. Aujourd'hui, ça coûte une fortune en essence pour faire rouler le vieux bolide gourmand. Et je ne vous parle pas du coût des réparations!

Combien ça coûte au juste? La réponse se trouve dans la nouvelle évaluation actuarielle des régimes de retraite qui a été présentée lundi par la Commission administrative des régimes de retraite et d'assurance (CARRA).

Les nouvelles ne sont pas roses, je vous le dis tout de suite. En fait, on est plutôt dans le rouge. Toujours la même rengaine: le déficit s'est creusé, et les cotisations des employés de l'État vont grimper. Encore.

Certains fonctionnaires seraient bientôt forcés de consacrer plus de 16% de leur salaire au financement de leur retraite, si Québec n'avait pas déjà accepté de leur donner un répit.

Jetons un coup d'oeil sur le Régime de retraite du personnel d'encadrement (RRPE), qui est vraiment en mauvaise posture. Voici le portrait au 31 décembre 2011, la date de référence de l'évaluation actuarielle qui est faite tous les trois ans.

Notez que cette évaluation sert uniquement à établir le taux de cotisation des employés qui assument la moitié des frais du régime depuis 1982.

Pour la portion de Québec, c'est une autre histoire. Le gouvernement n'est pas tenu de mettre de l'argent de côté. Mais cela ne signifie pas que tout baigne dans l'huile. J'y reviendrai demain...

Restons du côté des employés pour aujourd'hui. Selon le rapport de la CARRA, la valeur marchande de l'actif du RRPE s'élève à 7,3 milliards de dollars. Il s'agit du total des cotisations que les employés ont versé jusqu'ici. Tout cet argent se trouve dans les coffres de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Malheureusement, le passif est beaucoup plus élevé: 9,3 milliards. C'est la somme qu'il faudrait avoir accumulée aujourd'hui pour honorer toutes les promesses de rentes.

La différence entre la valeur du passif et de l'actif révèle un déficit de 1,9 milliard. Un trou énorme.

Mais ce n'est rien. Les calculs de la CARRA sont fondés sur un taux de rendement d'environ 6,25%. Cette hypothèse est plus audacieuse que celle proposée dans le rapport D'Amours, en avril dernier. Le comité d'experts mandaté par Québec recommandait aux régimes de retraite d'utiliser un taux de l'ordre de 5% pour «se rapprocher de la vérité des coûts».

En utilisant un taux plus réaliste, le déficit du RRPE bondirait à 3,5 milliards, si l'on se fie aux tests de sensibilité fournis dans le rapport de la CARRA. Voilà la somme qu'il faudrait ajouter aujourd'hui dans la caisse pour «remettre les compteurs à zéro».

Un chiffre d'une telle ampleur peut sembler abstrait. Mais il devient drôlement concret quand on le met en perspective avec le nombre de participants actifs du régime. Imaginez un instant si on demandait à chacun des 28 000 employés du RRPE d'ajouter 126 000$ pour remettre la Cadillac à neuf. Ça ruerait dans les brancards!

Évidemment, ça ne marche pas comme ça. À la place, leur taux de cotisation va grimper. Mais pas tant que ça, car Québec a déjà convenu de payer l'excédent, du moins jusqu'en 2016, dans le cadre d'une entente conclue en 2011. N'empêche, la situation est préoccupante.

Je vous rassure, les problèmes sont moins grands pour le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP), de loin le plus important régime de retraite de l'État avec 525 000 participants actifs.

Le régime présente un déficit de 2,3 milliards, sur un actif de 41,2 milliards.

Toutefois, ce déficit grimperait à 11,8 milliards en utilisant les hypothèses de rendement du rapport D'Amours. Pour remettre le régime à flot, il faudrait que chaque participant actif ajoute 22 500$ dans la cagnotte.

C'est plutôt leur taux de cotisation qui va augmenter. Juste pour financer les années à venir, le taux passera de 6,8 à 7,6% du salaire. Et si on utilisait les hypothèses du rapport D'Amours, le taux de cotisation serait plutôt de l'ordre de 10%.

En ajoutant l'amortissement du déficit, le taux effectif atteindra 8,4% de l'équivalent de 100% du salaire moyen. Mais en réalité, le taux est plus élevé, car il s'applique seulement sur les revenus annuels excédents environ 18 000$, de manière à aider les employés à faibles revenus.

Au final, les employés du RREGOP verront donc leur cotisation passer de 10 à 12,75% (sur leurs revenus excédant 35% du maximum des gains admissibles).

L'ascension du taux de cotisation commence à faire mal. À l'heure actuelle, ce sont les employés qui ont le fardeau de combler le déficit du régime de retraite, à parts égales avec le gouvernement. Pour les retraités, il n'y a aucun impact. Cela pose un problème d'équité intergénérationnelle.

Bien sûr, il est très difficile de négocier une réduction des prestations, puisqu'il s'agit d'un contrat. Les retraités diront: «Vous nous avez promis de nous faire rouler en Cadillac jusqu'à notre mort. Ce n'est pas notre faute si le prix de l'essence a explosé depuis 40 ans.»

Mais tôt ou tard, il faudra se poser des questions difficiles.

Un exemple: Est-il normal que les rentes soient calculées sur le salaire final? Cela crée des situations inéquitables. Un employé qui obtiendrait une promotion en fin de carrière et qui doublerait son salaire pourrait aussi doubler sa rente, sans avoir cotisé l'équivalent durant la majeure partie de sa carrière.

Pour être parfaitement juste, le calcul de la rente devrait tenir compte des cotisations réellement versées par chaque participant la vie durant, un peu comme à la Régie des rentes du Québec (RRQ).

Plusieurs provinces ont déjà entrepris des réformes importantes du régime de retraite des employés de leur fonction publique.

En septembre dernier, l'Alberta a annoncé que les employés provinciaux devront travailler et contribuer plus longtemps à leur régime de retraite. Ils devront attendre 65 ans avant de toucher une rente sans pénalité.

Au Québec, combien de temps va-t-on encore rouler dans une Cadillac des années 70 avec des lunettes roses?

N.B.: Cette chronique a été réalisée avec l'appui en expertise de Jacques Gagné et Robert Poirier, chercheurs invités au Centre de recherche sur la gouvernance de l'ENAP.