Chers Québécois, vous êtes trop fidèles, trop accrochés à vos bonnes vieilles habitudes. Les commerçants vous prennent pour acquis. Ils réservent leurs plus beaux cadeaux aux nouveaux clients.

Afin d'attirer la clientèle, les entreprises déroulent le tapis rouge. La grande mode: des primes de bienvenue et des rabais temporaires.

Les émetteurs de cartes de crédit accordent une tonne de points pour convaincre les consommateurs d'adhérer à leur carte. Par exemple, la Banque Royale verse 15 000 miles aux nouveaux adhérents de sa carte Visa Infinite Voyage, assez pour obtenir un vol court-courrier aller-retour dont le prix ne dépasse pas 350 $.

Les rabais temporaires sont très courants dans l'univers des télécoms. Entre autres, Bell offre un trio de services qui coûte 109 $ pour les six premiers mois. Ensuite, le prix grimpe à 136 $ par mois. Mais quand on appelle, on peut prolonger le rabais, racontent les deux jeunes hommes qui ont sonné à ma porte pour me vendre la télé FIBE. Ah bon ! Cela veut dire que les clients qui ne disent rien paient trop cher, alors? Frustrant.

Du côté de Vidéotron, on annonce un forfait de quatre services à 92,95 $ par mois, pour six mois. Par la suite, le prix grimpe à 125,45 $, précise-t-on en petits caractères. Il s'agit d'une augmentation de 35 %. Pas pareil du tout.

En 2010, Québec avait considérablement assaini les pratiques d'affichage des commerçants avec la réforme de la Loi sur la protection du consommateur. Désormais, les commerçants sont obligés d'intégrer tous les frais dans les prix annoncés. Exit les frais cachés en petits caractères qui faisaient enrager les clients.

Mais avec les rabais temporaires, les commerçants ont trouvé une nouvelle façon de compliquer la vie des consommateurs. Pour bien comparer les services de télécoms, dont la tarification est déjà ultra complexe, il faut maintenant analyser deux séries de prix : le prix escompté pour trois, six ou douze mois et le prix normal qui s'appliquera par la suite.

De quoi décourager les consommateurs les plus consciencieux!

Mais en plus de compliquer le magasinage, les rabais temporaires font aussi enrager les clients fidèles qui doivent menacer de quitter l'entreprise pour obtenir un bon prix, eux aussi. «À long terme, ça pousse les consommateurs à ne pas être fidèles», déplore Jean-Pierre Aubry, économiste à la retraite.

Il est toujours étonné de voir que les banques renouvellent automatiquement à un taux d'intérêt très faible les certificats de placement garantis (CPG) qui arrivent à échéance. Récemment, on lui a offert 1,75 % pour renouveler un placement pour cinq ans. En négociant, il a obtenu 2,55 %. Une fameuse différence.

À la longue, les consommateurs ne croient plus au prix normal. Ils finissent par percevoir le prix en rabais comme le véritable prix de référence. C'est le cas dans l'univers des hypothèques où le taux affiché est généralement 2 % plus élevé que le meilleur taux d'intérêt qu'un client peut négocier.

«Tout ça force les gens à marchander. Les consommateurs qui ne regardent pas leurs affaires ou qui ne veulent pas se préoccuper de tout ça sont les grands perdants. Ils se font avoir à l'os», dénonce M. Aubry.

Avec ce genre de stratégie, les commerçants misent sur la loi de l'inertie, sur le fait que les consommateurs n'auront pas envie de magasiner, de négocier, de changer de fournisseur chaque année.

Peut-être ont-ils raison à court terme. Mais avec le temps, cette attitude frustre les bons et loyaux clients qui se sentent trahis. «Il a été fortement démontré que désavantager un consommateur par rapport à un autre [en leur offrant deux prix différents] est une méthode presque garantie pour créer un fort sentiment d'injustice», explique Yany Grégoire, professeur agrégé à HEC Montréal.

Ses recherches démontrent que les clients les plus fidèles, ceux qui ont noué une relation solide avec une firme, sont également ceux qui ont le plus de chance de se sentir trahis, surtout quand ils ont l'impression que l'entreprise a été de mauvaise foi. Tôt ou tard, ils voudront se venger en répandant du bouche-à-oreille négatif ou en allant voir ailleurs.