L'argent ne fait pas le bonheur. Et la croissance économique ne rend pas plus heureux. Passé un certain niveau de richesse, l'augmentation des revenus par habitant ne réduit pas les maux qui affligent nos sociétés modernes.

Alors quoi ? Où est la clé du bonheur ? Elle se trouve dans l'égalité des revenus, répondent deux chercheurs britanniques dans le best-seller The Spirit Level publié en 2010, lancé au Québec cette semaine en version française.

En puisant des statistiques à plus de 200 sources et en compilant les études durant 30 ans, les deux épidémiologistes Richard Wilkinson et Kate Pickett ont découvert un lien très étroit entre les iniquités de revenus et les problèmes sociaux. « C'était estomaquant pour moi ! », s'exclame Claude Cossette, qui signe la préface de l'ouvrage intitulé L'égalité, c'est mieux. Pourquoi les écarts de richesses ruinent nos sociétés.

Le constat des chercheurs est frappant : « Plus la différence est importante entre les riches et les pauvres à l'intérieur de la société, plus il y a d'homicides, de prisonniers, de violence, d'obésité, d'adolescentes enceintes, de décrochage scolaire », énumère le fondateur de la firme de publicité Cossette, aujourd'hui professeur de publicité sociale à l'Université Laval.

Selon les auteurs, nous sommes arrivés au bout de ce que la croissance économique peut faire pour améliorer la qualité de vie dans les sociétés riches. D'ailleurs, le bonheur n'a pas augmenté dans les pays les plus riches comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont pourtant vu leurs revenus réels doubler.

***

Quand on compare les pays entre eux, on ne remarque pas vraiment de lien entre le niveau de revenu moyen de la population et les problèmes sociaux.

Par contre, on observe que les problèmes sociaux sont beaucoup plus présents dans les pays où les écarts de richesse sont les plus prononcés, comme les États-Unis qui ont pourtant les revenus moyens les plus élevés du monde. Chez nos voisins, les 20 % les plus riches sont huit fois plus riches que les 20 % les plus pauvres.

Dans les pays les plus égalitaires, comme le Japon et la Suède, les riches sont environ quatre fois plus riches que les pauvres. L'écart de richesse est donc deux fois moins prononcé et les problèmes sociaux sont beaucoup moins présents.

« Au fond, la pauvreté est toujours relative, explique M. Cossette. Dans un pays où tout le monde est pauvre, les pauvres ne se sentent pas si pauvres que ça. Mais dans un pays riche, les pauvres voient constamment de belles maisons et de belles autos autour d'eux. Ça, c'est frustrant ! »

Indirectement, cette frustration entraîne une foule de problèmes. Les plus pauvres se saignent à blanc pour réussir à consommer. Plusieurs achètent à crédit pour se procurer des biens dont ils n'ont pas les moyens. D'autres travaillent comme des dingues pour s'offrir un plus grand confort matériel, négligeant leur famille, leurs amis, leur santé.

« N'est-il pas paradoxal que, parvenus au pinacle de l'accomplissement matériel et technique de l'être humain, nous soyons rongés par l'anxiété, sujets à la dépression, inquiets du regard des autres, incertains de nos amitiés, mus par la consommation et dépourvus, largement ou totalement, de vie sociale ? », demandent les auteurs dès les premières lignes de leur ouvrage.

***

Les médias de masse et les publicitaires ont leur part de responsabilité. D'ailleurs, on dépense deux fois plus en publicité par habitant aux États-Unis que dans les pays nordiques qui sont plus égalitaires.

Or, les publicités attisent constamment la convoitise des consommateurs en leur donnant la fausse impression qu'ils peuvent s'offrir des biens dont ils n'ont pas les moyens. « Le mode de vie des riches est mis au premier plan et présenté comme la façon normale de vivre », note M. Cossette.

Les publicités mettent souvent en scène des gens qui utilisent des produits plus luxueux et plus efficaces que ceux dont on dispose. Pour vous vanter le concept de l'outdooring, on vous présente une famille qui se baigne dans une piscine de millionnaire et accueille des amis dans une cuisine extérieure mieux équipée que celle que vous avez dans votre maison. On se demande bien comment un si jeune couple a pu se payer une cour pareille !

Et pour rehausser l'image de produits destinés à la classe moyenne, les publicitaires les placent dans un environnement qui ne correspond pas du tout à la réalité de l'acheteur qui a des revenus moyens et qui vit à loyer dans un quartier ordinaire.

Pour vous présenter la vodka Grey Goose, on met en scène un groupe de jeunes gens qui s'offrent un plateau d'huîtres sur un voilier de rêve au milieu de l'océan.

Et pour vous vendre l'Elantra de Hyundai, on installe le porte-parole Guillaume Lemay-Thivierge dans un quartier de résidences ultraluxueuses. Garage double, tourelles et tout le tralala. Mais ne vous en faites pas. Le rêve est accessible. La voiture coûte à peine 84 $ aux deux semaines. Sauf que vous en aurez pour 96 mois à rembourser vos dettes. Huit ans, c'est long!