Dieu soit loué, j'ai toujours eu des supérieurs immédiats agréables. Mais j'en connais qui en ont bavé à cause de leur patron...

Une associée qui prenait un plaisir sadique à demander à son employé de pondre un rapport urgent le vendredi à 16h30 - au diable la fin de semaine en famille - pour rejeter toutes ses recommandations dès le lundi matin. Un vieux de la vieille qui ne se gênait pas pour lancer des livres ou des crayons à la figure de ses subalternes. Un gestionnaire qui pouvait louanger son employé un jour, puis le dénigrer le lendemain devant la haute direction.

De quoi vous rendre fou!

Le problème de la santé mentale en milieu de travail est loin d'être bénin, a confirmé la semaine dernière la plus vaste étude jamais réalisée au Canada sur cet enjeu. Les résultats sont alarmants. Près d'un employé sur quatre (24 % ) a vécu un épisode récent de détresse psychologique qui est souvent précurseur d'un trouble plus grave. Et 1 employé sur 10 souffre de dépression (6 % ) ou d'épuisement professionnel (4 %).

Les coûts des problèmes psychologiques sont énormes: jusqu'à 50 milliards par an, selon la Commission de la santé mentale du Canada.

«De 35 à 40 % des réclamations d'assurance invalidité découlent de problèmes de santé mentale», avance Virginie Gosselin, de la compagnie d'assurances Standard Life qui a parrainé l'étude.

Durant quatre ans, Alain Marchand et Pierre Durand, professeurs à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal, ont suivi une cohorte de plus de 2100 employés sélectionnés au hasard au sein de 63 entreprises de différents domaines.

En plus de répondre à un questionnaire complet, les travailleurs ont fourni des échantillons de salive qui ont permis aux chercheurs de corroborer les résultats en analysant leur niveau de cortisol, une hormone qui est un bon indicateur de notre niveau de stress.

Comme les résultats ont été assez probants, je ne serais pas étonnée que, tôt ou tard, les assureurs utilisent ce genre d'indicateur biologique pour valider le diagnostic d'épuisement professionnel ou de dépression d'un de leurs assurés.

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Mais l'étude ouvre aussi de nombreuses pistes de solution pour endiguer les problèmes de santé mentale. D'abord, elle a permis d'identifier les déclencheurs des problèmes de santé mentale.

Ainsi, l'épuisement professionnel, le burn-out, est surtout provoqué par le milieu de travail lui-même. L'insécurité d'emploi, la supervision abusive, les demandes excessives, les conflits en milieu de travail et le manque de reconnaissance des compétences forment un cocktail particulièrement toxique.

Ces facteurs de risque sont aussi des déclencheurs potentiels de la dépression, même si cette maladie est généralement provoquée par un ensemble plus large de facteurs qui découlent tant de l'individu lui-même que de son milieu de travail. Les problèmes de conciliation travail-famille sont particulièrement susceptibles de provoquer de la détresse psychologique.

Mais la supervision abusive est le plus grand dénominateur commun de tous les problèmes de santé mentale : détresse psychologique, épuisement professionnel et dépression. Alors, prenez garde à votre patron, il peut vraiment vous rendre malade!

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Mais si votre patron vous rend dingue, sachez qu'il existe des mesures qui permettent de réduire le stress en entreprise.

On s'en doute, les entreprises qui offrent des cours de yoga, qui donnent accès à un centre d'entraînement physique ou qui offrent des consultations avec un diététicien ont des employés qui souffrent moins de problèmes de santé mentale. L'étude le confirme.

Mais en changeant leur propre attitude, les patrons obtiendront des résultats encore plus probants. Un exemple ? « Permettre aux employés de participer au processus décisionnel entourant leurs tâches et leurs conditions de travail », explique M. Durand.

Diminuer les heures de travail ou accorder un horaire plus flexible sont d'autres moyens très efficaces de réduire le stress, a démontré l'étude. Or, le milieu de travail pousse généralement les travailleurs dans le sens contraire. Sous la pression, les employés allongent leurs heures de travail afin d'augmenter leur performance, jusqu'au point où ils deviennent complètement perdus, inefficaces, malades.

Un processus d'évaluation juste et professionnel est un autre moyen éprouvé pour réduire le stress des employés. « Il doit y avoir une bonne corrélation entre la performance de l'employé et la reconnaissance de son travail et sa rémunération », explique M. Durand.

Rien de pire qu'un supérieur qui ne vous accorde aucun mérite et qui utilise votre travail pour son propre avancement. Rien de pire qu'un patron qui vous dit toujours que tout est parfait, mais qui ne vous accorde jamais la promotion dont vous rêvez.

La reconnaissance du travail est cruciale, tout comme les perspectives d'avancement de carrière, même pour les employés qui sont au bas de l'échelle. Ce n'est pas parce que vous êtes commis que vous ne pouvez pas devenir patron.

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La santé mentale au boulot:

- 35 à 40 % des réclamations d'assurance-invalidité découlent de problèmes de santé mentale

- Les troubles de santé mentale ont des répercussions économiques de 50 milliards par année

- Cela représente 2,8 % du produit intérieur brut du Canada

Sources : Standard Life, Commission de la santé mentale du Canada

Combien d'employés souffrent de problèmes de santé mentale?

24 % Détresse psychologique (récemment)

12 % Épuisement émotionnel (une fois par semaine et plus)

11 % Inefficacité professionnelle (une fois par semaine et plus)

8 % Cynisme (une fois par semaine et plus)

6 % Dépression (deux dernières semaines)

4 % Épuisement professionnel (une fois par semaine et plus)

NB : L'enquête a été réalisée auprès de 2100 employés au sein de 63 entreprises sur une période de quatre ans

Source: Alain Marchand et Pierre Durand, professeurs à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal