Peu d'entreprises familiales parviennent à passer le flambeau à la troisième génération. Pour la quatrième génération, c'est encore plus rare, surtout dans l'univers en perpétuelle consolidation de la finance.

Pas facile de transmettre la flamme de l'entrepreneuriat. Mais Paul Tardif, fondateur du Groupe Eterna, ne manque pas de relève. Cette semaine, son fils Pierre Olivier a décidé de se joindre à l'entreprise de gestion de patrimoine de Québec qui vient justement d'annoncer son mariage avec Sipar, une firme montréalaise spécialisée dans la gestion de portefeuille d'actions québécoises.

Avant de se joindre à Eterna comme responsable du développement des affaires, le financier de 34 ans a fait ses armes durant 11 ans, notamment au Mouvement Desjardins et à la Caisse de dépôt et placement du Québec, où il a travaillé comme négociateur institutionnel.

«C'est bon de prendre de l'expérience et de voir comment les choses se passent ailleurs. Il arrive avec un bagage et nous apporte une vision différente», raconte Paul Tardif, qui n'a jamais douté que ses enfants seraient un jour la quatrième génération à travailler pour l'entreprise familiale.

Sa fille aînée, spécialisée en fusions et acquisitions, a déjà roulé sa bosse pour le géant Citigroup, à Londres. Et ses deux plus jeunes enfants, toujours aux études, s'orientent déjà vers le monde des affaires.

La famille d'entrepreneurs a la finance dans ses gènes depuis 85 ans.

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C'est en 1928 qu'Alphonse Tardif a fondé la Corporation de Prêt et Revenu, dont le siège social s'élève sur la prestigieuse place d'Youville, à Québec. Par la suite, Jean-Paul Tardif prend sa relève et dirige l'entreprise pendant 40 ans, avant de céder les rênes à son fils Paul.

Au milieu des années 90, la famille, qui compte cinq enfants, décide de vendre le groupe financier en pièces détachées. ING achète la société d'assurance dommages Saint-Maurice. Desjardins acquiert la Compagnie d'assurance AEterna-Vie. Et la Banque Laurentienne met la main sur Trust Prêt et Revenu, un des derniers trusts indépendants au Québec.

C'est la fin d'une époque. Les activités bancaires nécessitent d'importants investissements en technologie. Or, les trusts ont eu la vie dure depuis les années 80. La flambée des taux hypothécaires, qui ont explosé de 12% à 22%, a fait bondir les défauts de paiement. «Je ne me suis jamais ennuyé des prêts hypothécaires», lance à la blague Paul Tardif.

Les activités de Trust sont regroupées avec celles du Trust Banque Laurentienne, dont Paul Tardif devient président. Mais peu après, l'entrepreneur rachète les anciennes activités de gestion privée de Trust Prêt et Revenu dont la Banque veut se départir.

Avec 175 millions d'actifs, essentiellement les actifs de clients fortunés de Québec, Paul Tardif se relance en affaires et fonde Gestion de placements Eterna, en 1998.

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À l'ombre des grandes banques, Eterna fait son chemin et atteint environ 750 millions d'actifs, en 2013.

Mais la route est difficile en raison des scandales financiers. Beaucoup d'investisseurs apeurés préfèrent confier leurs épargnes aux grandes banques. Les petites firmes indépendantes en subissent les conséquences. «Nous n'avons jamais perdu de clients. Mais cela a ralenti le développement de la clientèle, raconte M. Tardif. C'est incroyable comment Norbourg a nui à l'industrie!»

Pas facile non plus de grandir par acquisitions. Les banques aux poches profondes ont les moyens de tout rafler.

Mais la consolidation de l'industrie a créé un vide dans le marché, estime Jean Duguay, actionnaire et gestionnaire principal d'Eterna. Plusieurs firmes québécoises ont été achetées par des firmes de l'extérieur du Québec. «Mais certains clients préfèrent confier leurs économies à des entreprises d'ici», constate M. Duguay.

Les entreprises indépendantes n'ont pas le même impératif de livrer des rendements à court terme, comme leurs grandes soeurs qui sont inscrites en Bourse. Et elles ont la capacité de s'adapter à la clientèle et de faire de la gestion sur mesure.

Le Groupe Eterna estime que sa nouvelle masse critique lui permettra de développer le marché institutionnel. La nouvelle société gérera des actifs d'environ 1,1 milliard pour des investisseurs particuliers ainsi que pour des clients institutionnels, comme des fondations et des régimes de retraite. L'entreprise comptera une trentaine d'employés.

Et rien n'exclut d'autres acquisitions. En ajoutant d'autres talents, la firme pourrait partager les coûts associés à l'administration, à la conformité et au marketing. Mais tout est une question de «fit», selon M. Tardif. Il faut une «communauté de vision et de style», dit-il.

Mais les actionnaires d'Eterna voient grand: «Atteindre 10 milliards d'actifs, c'est potentiellement réalisable d'ici les cinq prochaines années», avance M. Duguay.

À ce compte, il y aura du pain sur la planche pour plusieurs générations!