On a beau en parler depuis des lunes, les femmes sont toujours aussi rares dans les postes de direction, encore plus celles qui viennent d'une minorité visible. À cause de son inertie, le Canada perd même du terrain dans l'égalité homme-femme, par rapport à d'autres pays. Et c'est l'ensemble de la société qui en paie le prix.

Les chiffres sont clairs. À Montréal, les femmes occupent seulement le tiers des postes de haute direction. Et à peine 6% des dirigeants viennent d'une minorité visible, même si ces communautés forment 23% de la population, selon la récente étude DiversitéEnTête, qui a passé au peigne fin plus de 33 000 postes de haut dirigeant et de membres de conseil d'administration (CA) dans la région de Montréal.

Le portrait est plus encourageant du côté des élus et des nominations à des agences et des commissions gouvernementales, où l'on approche de la parité avec 47% de femmes. Voilà bien la preuve qu'il est possible d'y arriver.

Malheureusement, le secteur privé progresse à pas de tortue. Seulement un poste de direction sur sept est occupé par une femme. Pire: le tiers des grandes entreprises qui ont leur siège social à Montréal ne compte pas une seule femme dans un poste-clé. Ni à la haute direction ni au CA. Aucune!

Est-ce que quelqu'un pourrait les avertir que l'époque de Mad Men est révolue? On est rendu en 2013! Les femmes ne sont plus cantonnées derrière une dactylo. Bien au contraire. Les quatre provinces les plus populeuses du Canada sont maintenant dirigées par des femmes premières ministres.

Et la relève féminine ne manque pas. Les filles sont les meilleures à l'école. Elles sont plus nombreuses (40%) à obtenir un baccalauréat que les garçons (25%). À l'université, elles occupent une place de choix dans les facultés les plus contingentées. Par exemple, on compte deux tiers de filles parmi les étudiants en médecine au Québec.

Mais une fois sur le marché du travail, le salaire ne suit pas les notes. À la sortie de l'université, les bachelières gagnent un salaire hebdomadaire 10% inférieur à celui de leurs confrères diplômés, rapporte le Conseil du statut de la femme. Dans l'ensemble de la population, les femmes qui travaillent à temps plein ne gagnent que 79% du salaire des hommes, un pourcentage qui n'a pas bougé d'un iota depuis 10 ans.

Parfois, les femmes mettent elles-mêmes la pédale douce sur leur vie professionnelle lorsqu'elles deviennent mamans. Parfois, les femmes s'imposent leurs propres barrières. Par exemple, elles ont moins tendance à s'autopromouvoir, attribuant le succès à leur équipe, mais se blâmant pour les échecs, rapportent les deux auteures de l'étude, Suzanne Gagnon, de l'Université McGill, et Wendy Cukier, de l'Université Ryerson, de Toronto.

Mais trop souvent, les femmes se heurtent encore au fameux plafond de verre. La culture de l'organisation bloque leur ascension. Quelques exemples...

Les réunions tardives et les demandes de dernière minute entrent directement en conflit avec la vie familiale. Les occasions de réseautage à l'interne sont centrées autour d'activités typiquement masculines, comme les voyages de pêche. Et les gestionnaires ont naturellement tendance à embaucher des gens qui leur ressemblent, un phénomène appelé «l'embauche miroir».

Bref, les hommes blancs embauchent des hommes blancs.

Or, le déficit de femmes et de minorités visibles a un coût pour l'entreprise, et pour la société en général. Plusieurs études ont démontré que les entreprises qui favorisent la diversité à la haute direction obtiennent aussi une meilleure performance financière. Jusqu'à 35% de plus, selon Catalyst.

Le Conference Board explique aussi que la diversité au sein des CA permet d'éviter les bourdes découlant de la pensée uniforme. Des membres du CA provenant de tous les horizons remettront davantage en question les décisions des dirigeants, ce qui favorisera la créativité, l'innovation, l'amélioration du service à la clientèle... et la performance financière.

Vivement la parité! Mais certains patrons pensent encore que c'est une mission impossible, parce que le bassin de femmes qualifiées n'est pas assez grand.

Pourtant certaines entreprises sont bien près de l'objectif. En fait, 6% des grandes entreprises montréalaises ont au moins 40% de femmes à la haute direction.

Comment amener les autres à évoluer? Faudra-t-il imposer des quotas pour que les femmes puissent se tailler une place au sommet, comme certains des pays l'ont fait? Cette approche radicale ne plait pas au Canada, même chez les femmes. Un changement forcé provoquerait de la frustration et de la résistance, croit Mme Cukier qui préfère les objectifs aux quotas.

Il faut mettre l'accent sur les comportements exemplaires pour faire bouger les choses. Par exemple, chez Merck Canada, 42% des postes de haut dirigeant sont occupés par des femmes ou des membres d'une communauté visible.

Et les entreprises cancres? Mme Gagnon préfère ne pas les nommer. Espérons qu'elles se reconnaîtront... et qu'elles agiront.

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VISIBLEMENT SOUS-REPRÉSENTÉES

À Montréal, les femmes et les minorités visibles occupent une petite place à la direction et aux conseils d'administration des organisations

Femmes / Minorités

Élus 37,8% / 6,9%

Dirigeants du secteur public 29,8% / 2,6%

Dirigeants et membres d'un CA dans le secteur privé 15,1% / 2,6%

Dirigeants et membres d'un CA dans le secteur communautaire 35,9% / 11,4%

Dirigeants et membres d'un CA dans le milieu de l'éducation 40,7% / 6,4%

Nominations gouvernementales à des agences, conseils et commissions 47,2% / 9,6%

Total 31,2% / 5,9%

Sources: DiversitéEnTête, Diversity Institute Ryerson University et faculté de gestion Desautels McGill