Attendez un peu avant de monter sur vos grands chevaux. À moins d'une grande surprise, la décision que la Cour suprême rendra ce matin dans l'affaire Lola aura probablement moins d'impact que vous le pensez sur votre couple.

Inutile de s'étendre trop longtemps sur l'histoire hautement médiatisée de Lola, cette jeune et jolie étrangère qui a vécu pendant sept ans avec Éric, un richissime homme d'affaires québécois. Le couple jet-set a eu trois enfants, avant de se séparer en 2002. Éric a laissé de nombreux biens à Lola et il lui verse une généreuse pension alimentaire pour ses enfants.

Mais Lola réclame une pension alimentaire pour elle-même ainsi que le partage du patrimoine familial. C'est bien simple, elle voudrait être traitée comme si elle avait été mariée. Pour le tribunal, la question est de savoir s'il est discriminatoire de considérer les conjoints de fait différemment des gens mariés.

Lola a été déboutée en première instance, mais la Cour d'appel du Québec lui a donné partiellement raison, en 2010. Oui pour la pension alimentaire. Non pour le partage du patrimoine familial.

Une onde de choc a alors traversé le Québec où la moitié des couples vivent en union libre. En fait, le Québec est le champion canadien de l'union libre, ce qui est assez ironique puisque c'est ici que les conjoints de fait sont les moins bien protégés en cas de rupture. Mais les choses pourraient changer...

Si je me fie aux avocats qui ont assisté aux auditions en Cour suprême, en janvier dernier, le droit de demander une pension alimentaire devrait être maintenu.

Avec un peu de recul, la situation du Québec a plutôt l'air d'une anomalie. Dans toutes les autres provinces canadiennes, les conjoints de fait ont une obligation alimentaire après deux ou trois ans de vie commune (un an s'ils ont un enfant). Et même au Québec, il n'y a plus de différence entre les conjoints de fait et les gens mariés dans la plupart des lois (impôts, rentes, etc.).

Pourquoi en serait-il autrement avec la pension alimentaire?

En réalité, la situation des conjoints de fait qui vivent ensemble depuis de longues années, surtout ceux qui ont des enfants, n'est pas différente de celles des couples mariés. Si un déséquilibre financier est né de cette union, il me semble assez normal que le conjoint le plus fortuné ne laisse pas son ex dans la misère après une séparation.

Mais attention, cela ne veut pas dire qu'on a le droit de mener un train de vie princier sur le bras de son ex-conjoint, ad vitam aeternam. Pas du tout.

Même si les conjoints de fait obtiennent le droit de réclamer une pension alimentaire, il ne faut pas penser qu'un juge va l'accorder instantanément à tout le monde. Pour avoir droit aux «aliments», il faut vraiment qu'un conjoint se retrouve dans le besoin, ce qui est plus rare dans les jeunes familles d'aujourd'hui dont les deux parents sont souvent sur le marché du travail.

Si vous gagnez 75 000$ par année, ne pensez pas obtenir une pension de votre ex-conjoint, même s'il gagne 300 000$. L'objectif d'une pension alimentaire est de donner le temps au conjoint défavorisé de retrouver son autonomie financière, et non pas d'égaliser le niveau de vie des ex-conjoints, comme Lola le voudrait.

Elle n'est pas la seule. Beaucoup de parents moins fortunés craignent que leurs enfants préfèrent vivre avec leur ex-conjoint, parce qu'il est capable de leur payer plus de luxe. Leur préoccupation est peut-être fondée, mais les avocats en droit de la famille tomberaient en bas de leur chaise si la Cour suprême allait dans cette direction.

Idem pour le partage du patrimoine familial. Il serait surprenant que la Cour suprême change les règles du jeu.

Peu de provinces imposent aux conjoints de fait les mêmes règles de partage du patrimoine qui s'appliquent aux couples mariés. Plusieurs provinces préfèrent donner le choix aux conjoints d'adopter le même régime que les couples mariés, en enregistrant volontairement leur union.

Au Québec, les conjoints qui le souhaitent peuvent faire un copier-coller de la loi sur le patrimoine familial en rédigeant un contrat de vie commune. Un must, disons-le, pour tous ceux qui dépendent de leur conjoint de fait pour vivre.

En fait, Québec a toujours préféré laisser le libre choix aux conjoints de fait, au détriment d'une meilleure protection pour les conjoints démunis.

La Cour suprême pourrait-elle changer la donne? Ce serait pour le moins radical. Et cela irait à l'encontre de sa propre décision rendue en 2002. Dans l'arrêt Walsh, le tribunal avait refusé le partage des biens à des conjoints de fait en Nouvelle-Écosse.

Mais rien n'est impossible. Si la Cour suprême décide maintenant que les conjoints de fait sont victimes de discrimination pour la pension alimentaire, pourquoi pas pour le partage des biens aussi? J'entends déjà rugir les détracteurs de la loi sur le patrimoine familial qui ne l'ont pas digéré depuis 1989.

Remarquez que l'Assemblée nationale aurait ensuite tout le loisir de moderniser sa loi sur le patrimoine, si on juge qu'elle n'est plus adaptée au contexte actuel, et de le faire pour tous les couples, sans discrimination.

Mais disons que je ne miserais pas sur ce scénario. De toute façon, on aura l'heure juste à 10 h.