Chaque matin, je perds de longues minutes à détruire des dizaines de courriels non sollicités. On m'offre un iPad à 90% de rabais, un oreiller rempli de microbilles apaisantes à cinq fonctions, des conseils pour mieux gérer mon adjointe administrative. J'ai bien tenté de me désabonner, mais les courriels reviennent comme un boomerang.

Et je ne vous parle pas des messages carrément frauduleux qui m'annoncent le gel de mon compte de banque ou qui m'offrent des millions de dollars en échange d'un coup de main à l'auditeur d'une banque du Burkina Faso. Il a simplement besoin de mon nom, âge, adresse, numéro de téléphone, photo de passeport... Hop! À la corbeille.

Voilà déjà neuf ans que les internautes espèrent qu'Ottawa leur prêtera main-forte pour combattre les pourriels, comme plusieurs pays l'ont fait depuis longtemps. En 2004, le gouvernement avait mandaté un groupe de travail. Un an plus tard, ce comité recommandait la mise en place d'une loi antipourriel. Ce n'est qu'en 2010 que la loi a été adoptée... mais elle n'est toujours pas en vigueur.

Face aux pressions des lobbyistes, Ottawa vient de publier un nouveau règlement édulcoré, au début de janvier. Si la loi entre en vigueur avant la fin de 2013 comme prévu, les entreprises auront jusqu'en 2017 pour se conformer pleinement aux dispositions. Clairement, le gouvernement n'est pas pressé.

Pendant ce temps, les polluposteurs s'en donnent à coeur joie, ce qui pose un problème de sécurité important. Pour les Canadiens, les coûts s'élèvent à 3 milliards par année, soulignait lui-même le ministre Tony Clement, en 2010.

Sur papier, la loi antipourriel aura du mordant. Les pénalités allant jusqu'à 10 millions de dollars seront dissuasives. Et la loi ratissera large, interdisant non seulement les pourriels nuisibles, mais aussi les logiciels espions, les programmes malveillants et les réseaux d'ordinateurs zombies.

À moins d'avoir déjà une relation d'affaires, les commerçants devront obtenir le consentement «exprès» du destinataire, avant de lui envoyer un message. Présentement, la case est où l'on demande au consommateur s'il veut recevoir des courriels est souvent cochée par défaut. Pour éviter les envois, l'internaute doit prendre soin d'enlever le crochet. Avec la nouvelle loi, les consommateurs devront cocher eux-mêmes pour donner leur consentement. Une belle avancée.

Le problème, c'est que les commerçants ont toutes sortes d'appâts pour encourager les consommateurs à fournir leur adresse courriels et leur consentement. Par exemple, ils font miroiter de juteux rabais ou ils offrent de participer à un concours. Il y a une voiture de 45 000$ à gagner? Difficile de résister à la tentation pour les consommateurs.

Même si elle n'est pas parfaite, la loi canadienne fondée sur le consentement exprès («opt-in») sera plus musclée que celle des États-Unis qui repose plutôt sur le droit au désabonnement («opt-out»), comme l'explique Julie Maronani, avocate chez LJT Avocats.

Une efficacité douteuse

Mais il faudra voir jusqu'à quel point les nouvelles exemptions mineront l'efficacité de la loi antipourriel. En effet, Ottawa vient d'assouplir ses règles, face aux doléances des lobbyistes qui ont fait valoir que la loi freinerait le commerce sur le web. Industrie Canada avait reçu 55 mémoires de la part des banques, des détaillants, agents d'immeuble, etc.

Plusieurs commerçants s'offusquaient de ne pas pouvoir envoyer un courriel aux gens référés par leurs clients. Ottawa leur permettra finalement d'envoyer un seul message à une référence. Ensuite, il leur faudra obtenir le consentement du destinataire pour lui en envoyer d'autres. De plus, le commerçant devra fournir le nom de la personne qui a donné la référence. Cela aidera à distinguer les vrais courriels des courriels malveillants... tout en permettant de dire à son ami qu'on ne souhaite plus qu'il donne notre référence.

N'empêche, il s'agit d'une entorse considérable au concept du consentement exprès. Cela ouvre la porte aux commerçants qui veulent s'immiscer dans votre boîte de courriels sans autorisation. Surtout que n'importe qui peut vous recommander... pas juste un ami.

Ottawa a aussi élargi la notion de «lien familial et personnel» qui permet d'envoyer des courriels à des parents, amis et connaissances sans obtenir leur consentement. La nouvelle définition est beaucoup plus large et plusieurs organisations pourraient s'en servir pour envoyer des courriels non sollicités à des gens avec qui elles ont des relations limitées, déplore Michael Geist, professeur de droit à l'Université d'Ottawa.

Avec toutes ses exemptions, il y a fort à parier que les commerçants trouveront des trous pour entrer dans votre boîte de réception.

Mais on peut quand même espérer que la loi antipourriel freinera les polluposteurs réellement malveillants, du moins ceux qui sont installés au Canada. Car le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) aura du fil à retordre pour faire appliquer la loi à l'extérieur des frontières.

De quelle façon réussira-t-il à pincer tous ces pseudo-millionnaires africains qui veulent nous envoyer leur fortune? Sur ce front, la guerre aux pourriels est probablement perdue d'avance.

Pour joindre notre chroniqueuse: sgrammond @lapresse.ca