Chaque fois qu’une personnalité succombe à un cancer, on ressort toujours la même manchette : elle a perdu son combat contre le cancer. Et chaque fois, ça me vire à l’envers, ça me met en maudit. Ce n’est pas une façon d’annoncer la mort de quelqu’un. La vie n’est pas un combat de boxe, la vie n’est pas une game du Canadien. Les gens qui meurent ne sont pas des perdants. Les gens qui perdent, dans l’histoire, ce sont plutôt ceux qui restent. Ils perdent un amour, un parent, un ami. L’ami, lui, gagne le ciel, si vous y croyez. Si vous n’y croyez pas, il ne gagne rien, il ne perd rien, il n’est juste plus là. Parti.

Vous me direz qu’il perd la vie. C’est vrai. Mais ce n’est pas perdre au sens de subir une défaite. C’est perdre comme on perd ses clefs, comme on perd un livre, comme on perd son chapeau. La vie, il y a quelques secondes, je l’avais sur moi, et puis tout d’un coup, disparue, je ne sais pas où je l’ai mise, je ne l’ai plus. On va tous perdre la vie ainsi. Comme on perd son chat. Ce n’est pas nous qui la quittons. C’est elle qui s’en va. Et elle éteint la lumière dans nos yeux, avant de s’en aller. Bye-bye, c’était bien. Mais c’est assez.

Lorsque quelqu’un meurt d’une crise cardiaque, on ne titre pas qu’il a perdu son combat contre la maladie du cœur. Lorsque quelqu’un meurt d’un accident de la route, on ne dit pas qu’il a perdu son combat contre le gros camion. Lorsque quelqu’un met fin à ses jours, on n’écrit pas qu’il a perdu son combat contre la dépression. Et on a raison. Ça n’a rien à voir. Aucune vie ne se termine par un échec. Celle des gens atteints d’un cancer pas plus que les autres.

Ma mère est morte d’insuffisance rénale, après de longues années de dialyse à la maison.

Personne autour de nous n’a dit : elle a perdu son combat contre l’insuffisance rénale. Elle est morte, c’est tout.

Parce que le film se termine ainsi pour chacun de nous. On meurt à la fin. Et même si on connaît la fin, ça ne nous empêche pas d’apprécier le film, au contraire.

Si la formule « perdre contre le cancer » est si répandue, c’est parce que le terrible mal l’inspire. Parce que son nom rime avec adversaire. Il y a des milliers de maladies qui font des millions de victimes, mais la plus crainte, la plus détestée, la plus impopulaire, c’est le cancer. Le cancer est le méchant des méchants. La star de la noirceur. Le Darth Vader de la souffrance. C’est pour ça que dès que le diagnostic est posé, c’est la guerre. C’est la réputation de l’opposant qui crée l’événement. Le cancer tue tellement de gens. Mais plein de gens en guérissent aussi.

Ce qu’on appelle le combat, ce sont des soins. Parfois les soins font mal comme un bombardement. Mais il faut tenir le coup. Parce que les soins sont faits pour qu’un jour, vous vous sentiez bien. Pour trouver le courage, pour aller chercher les ressources en vous, on visualise une bataille. Ça motive. On peut vaincre le cancer. OK. Mais le cancer ne peut pas vous vaincre. Parce que le cancer meurt avec vous. Il n’est pas plus fort que vous, il est en vous. Quand quelqu’un meurt du cancer, le cancer n’a pas les deux bras dans les airs, il n’est pas en train de sauter dans tous les coins du ring. Il est K.-O. Il ne s’en va pas à Disneyland. Il vous accompagne dans votre tombe. Il est mort, en même temps que vous.

Voilà pourquoi il faut cesser de dire que le cancer a gagné. Le cancer ne gagne jamais. Soit il disparaît de son côté, soit il disparaît à vos côtés. Un cancer, ce n’est jamais un champion. Un cancer n’est rien sans vous.

On présume qu’il voulait vous tuer. Peut-être voulait-il guérir, lui aussi ? Qui sait ?

Bref, la maladie ne gagne jamais. La maladie n’existe pas sans le malade.

Il faut vraiment cesser de dire qu’un humain a perdu son combat contre le cancer. L’humain, soit il guérit et continue son chemin, soit il se rend au fil d’arrivée. On ne perd pas quand on franchit le fil d’arrivée. Peu importe son temps. On est allé au bout de soi. On ne pouvait aller plus loin. On ne pouvait aller plus haut. Un malade, ce n’est jamais un perdant. Chacun a son tracé. Chacun a gagné autant qu’il a aimé.

Donc jetez la métaphore. Enlevez-la de vos banques de données. La mort d’une vedette ou d’un inconnu ne s’annonce pas comme un résultat sportif. Ce n’est pas le moment de faire du style.

Il est mort. Elle est morte. Vous pouvez dire de quoi. Simplement. Mais dites surtout ce qu’il ou ce qu’elle laisse en nous. De vivant.