Janvier 2007, ça s’active dans les coulisses du Colosseum au Caesars Palace de Las Vegas. Julie Snyder, Jean Lamoureux et toute l’équipe des Productions J sont en pleine production du DVD A New Day. Je suis dans le bureau de René, à quelques pas de la loge de Céline.

Impressionné par l’ampleur du succès de sa protégée, qui a déjoué les prédictions de tous les experts, je dis à René : « C’est quand même fou, l’audace que vous avez eue ! » Il me regarde et, de sa voix légendaire, à la fois éteinte et allumée, il murmure : « Au poker, quand t’as un as dans ton jeu, faut que tu mises gros. » C’est sûr qu’avec un as à Vegas, tu peux rêver. Surtout quand c’est un as de cœur nommé Céline.

L’aventure folle de Céline Dion dans le désert a débuté avec le nouveau millénaire. D’abord le flash, en assistant à une représentation du spectacle Ô présenté par le Cirque du Soleil et mis en scène par Franco Dragone. Puis l’entente avec le Caesars Palace, suivie de la construction d’une salle de plus de 4000 places, spécialement pour recevoir la chanteuse québécoise. Un pari de fou. Avant Céline Dion, aucune star, en pleine gloire, ne s’était installée en résidence à Las Vegas. Ce n’était pas recommandé. C’était même déconseillé. Las Vegas était perçu comme la Résidence Soleil des artistes sur le déclin. Plusieurs prédisaient la fin de la carrière de la diva. La mission était trop ambitieuse. Personne ne peut attirer des milliers et des milliers de spectateurs, chaque semaine, au même endroit, durant trois ans. Le stress était grand, le 25 mars 2003, quand A New Day a vu le jour. Et le nouveau jour durera presque cinq ans. Jusqu’au 15 décembre 2007. Et le nouveau jour sera vécu par 3 millions de fans. Du jamais vu.

Un triomphe si gigantesque que le nouveau jour a eu un lendemain. Après A New Day, Céline est revenue dans sa salle, dans sa maison, en mars 2011. Elle donnera sa dernière représentation ce soir. Toujours au sommet de sa gloire.

Céline Dion a changé le visage de Las Vegas pour toujours. Les plus grands noms du show-business ne boudent plus la Sin City. Au contraire, ils s’y précipitent. Ils veulent tous y jouer. Le plus longtemps possible. À la Céline. D’Elton John à Lady Gaga, ils y tiennent l’affiche. C’est maintenant cool et branché de se produire à Vegas.

Durant 16 ans, Céline n’a pas été seulement une artiste, mais aussi une destination.

C’est fort. Dans une vie, on ne fait que quelques voyages, en consacrer un à une seule personne, qui n’est ni notre amour ni notre famille, c’est rare. Pour le faire, il faut que cette personne ait réussi à faire partie de la famille de nos amours. Des milliers et des milliers de gens, de Rimouski à Sydney, en Australie, ont choisi d’aller à Las Vegas pour voir Céline. Normalement, tu choisis une ville, puis tu choisis les spectacles que tu peux voir à cet endroit. Le pouvoir d’attraction de Céline a inversé ça. Les voyageurs choisissaient d’abord le show de la diva. Après, l’endroit allait de soi. J’irai où tu iras, le public de Céline a fait ça. Et c’est pour rendre la politesse que Céline, à son tour, va où il est, en mettant en branle sa tournée mondiale dans quelques mois.

Retournera-t-elle sur la Strip, un jour ? Ce ne serait pas étonnant. Disons qu’elle part avec les clefs de la ville dans son sac à main. Tous les casinos souhaitent l’accueillir. Bien sûr, il y a d’autres vedettes. Mais des vedettes aussi aimées partout sur la planète, capables de faire bouger les gens de partout, de les faire se déplacer, il n’y en a pas tant. Et s’il y en a, aucune d’elles ne l’a prouvé comme Céline l’a prouvé. Si vous voulez parier, comme on dit à Vegas, les odds sont de son côté. Voilà pourquoi les grandes propriétés feront tout pour un nouveau jour, pour la rapatrier.

Surtout que la relation Céline-Vegas n’est pas qu’économique. C’est une véritable histoire d’amour. Pas seulement avec les touristes, avec les habitants, aussi. Tous ceux qui ont croisé Céline et René, au cours des deux dernières décennies, sont tombés sous le charme de leur sincérité. De leur respect des autres. Il n’y a pas d’autres VIP pour qui les gens sont aussi importants. Des placiers aux PDG, ils n’ont que de beaux souvenirs. Des souvenirs à faire revenir. Céline a deux ancrages : le Québec et Vegas. Les racines et le palmier.

Fin mai 2019, il y a à peine quelques jours, avec mon adjointe Camille, je me faufile dans les coulisses du Colosseum, au Caesars Palace de Las Vegas. Denis Savage, l’éternel complice de la chanteuse de Charlemagne, me dit : « Vous pouvez attendre Céline dans le bureau de René, elle va venir vous saluer avant de monter sur scène. »

Le bureau de René… Ça me fait sourire et me bouleverse. C’est toujours le bureau de René, même si René n’y est plus. C’est certain. Il a trop rêvé cet endroit. On dirait même qu’il est encore là. Le silence qu’on entend, on dirait sa voix.

Céline arrive, plus rayonnante que jamais. Je lui demande comment elle se sent, à une semaine de la fin. Elle me répond : « Tu sais, mon chum, la fin, c’est toujours un début. »

Et j’entends le silence lui dire : « Continue. »