C'est le week-end de l'Action de grâce. Je sais, vous le savez. Ça fait un mois que vous l'attendez. Depuis la fête du Travail. Dans l'océan du train-train quotidien, chaque journée de congé est une bouée. Une occasion de se ressourcer, de se reposer, de décanter. Quoique...

On les attend tellement, ces jours fériés, que tout est planifié. Prévu, organisé, pas le temps de niaiser.

Le 1er janvier, on va dans ta famille le midi, et dans ma famille le soir. On passe la moitié de la journée dans le char et l'autre à essayer de digérer. Le week-end de Pâques, on va dans le Sud. Faire les valises, prendre l'avion, défaire les valises, aller à la plage, revenir de la plage, refaire les valises, reprendre l'avion, attendre à Dorval. Tout ça, en trois jours. Le lundi de la fête de la Reine ou de Dollard ou des Patriotes, selon que vous êtes fédéraliste, un vieux nationaliste ou un moins vieux nationaliste, on ouvre le chalet.

Les courses, le ménage, le quai à réparer, la fosse septique à déboucher. Le 24 juin, on fait le jardin. Bêcher, bêcher, bêcher. Planter, planter, planter. Le 1er juillet, on déménage ou on aide à déménager. Prends ton bout, je prends le mien. Attention dans le coin, ça ne passe pas. Le week-end de la fête du Travail, on va à New York. Huit heures de char, ça c'est juste pour sortir de Montréal. Arrivé dans la Grosse Pomme, on essaie de trouver des billets pour voir Hamilton sur Broadway. On n'en trouve pas.

On retourne voir Cats pour la huitième fois. Et on revient chez soi. Le week-end de l'Action de grâce, on ferme le chalet. Les restes à jeter, le ménage, le quai à réparer, la fosse septique à déboucher. Et enfin à Noël, on reçoit 20 personnes, les faire manger, les faire boire puis torcher.

Voilà, les huit jours fériés obligatoires, selon la loi, sont passés, et vous n'avez toujours pas eu une seconde pour vous reposer. Vraiment. Les congés, c'est du travail. 

On veut tellement en profiter qu'on en fait trop. On veut tellement que nos photos sur Facebook soient aussi populaires que celles de nos amis qu'on multiplie les activités. Saut en parachute, escalade du mont Washington et demi-marathon, ça c'est juste le matin.

Qu'allez-vous faire de votre congé de l'Action de grâce ? Je suis certain qu'il y aura plus d'actions que de grâce. C'est correct. Permettez-moi de vous proposer une anti-action : ne faites rien. Vraiment rien. Je sais, c'est le chroniqueur qui a fait l'apologie du travail, il y a quelques semaines, qui vous propose ça. Ça vous étonne ? Pourtant, ce n'est pas contradictoire. Autant il est important d'accomplir, autant il est important de contempler. Passivement.

Il n'y a rien de plus subversif, dans notre société, que de ne rien faire. Tentez l'expérience. Assoyez-vous sur un banc de parc et ne faites rien. Rien de rien. Sans téléphone. Sans livre. Sans lecteur de musique. Sans dormir. Juste assis. Les yeux ouverts. Ça va commencer à murmurer autour de vous : 

- As-tu vu la personne là-bas ?

- Quoi ? Qu'est-ce qu'elle fait ?

- Elle fait rien.

- Elle fait rien ? T'es certain ?

- Regarde, tu vois ben, elle fait rien...

- Peut-être qu'elle fait du yoga...

- Elle fait pas de yoga. Assis sur un banc, c'est pas une position de yoga. Si elle avait la jambe autour du cou, ça irait. Mais là, elle a les deux jambes normales, pliées, comme n'importe qui...

- Peut-être qu'elle médite ?

- Si elle méditait, elle aurait les yeux fermés ou elle fixerait un point. Là, elle regarde un peu partout. Normalement.

- Peut-être qu'elle a un téléphone Bluetooth...

- Elle ne parle pas.

- Ben oui, t'as raison, c'est louche. Ça doit être un maniaque.

Soyez 20 minutes à ne rien faire, et une patrouille va arriver : 

- Que faites-vous ?

- Je ne fais rien.

- Ben allez le faire ailleurs !

L'inactivité n'est pas acceptée. Quelqu'un qui ne fait rien est immédiatement suspect. 

On ne peut pas ne rien faire. Pourtant, c'est important. Libérer son cerveau de toute occupation permet de prendre conscience du monde qui nous entoure. On ne prend pas assez de temps pour observer. On ne regarde que ce qui nous regarde. Le reste, on ne le voit pas. Voir à quoi ressemble l'univers quand on ne le perturbe pas. Quand on ne l'utilise pas. Voir qu'il existe encore quand on existe à peine. Cesser de se prendre pour la star et se mettre en veilleuse. Faire le plein de lumières.

Assez philosophé. Pas besoin de vous procurer un livre sur l'art de ne rien faire. Pas besoin de mantra ni de vapeurs de menthe. Ne rien faire, c'est juste ne rien faire. Tassez votre tablette cinq minutes. Restez là. Ne bougez pas. Regardez la cuisine. En ne pensant ni au boulot, ni aux ouragans, ni au PQ, ni à P.K. En pensant juste que vous êtes dans la cuisine. C'est tout. Et que le prochain geste que vous allez faire, c'est vous qui allez décider de le faire. Ne rien faire durant quelques instants permet d'apprécier notre liberté d'agir. Sinon, on n'est qu'une balle qui rebondit tout le temps, au gré de ce qu'elle frappe. Arrêter et prendre le temps de choisir l'endroit où l'on veut envoyer notre balle.

C'est ce que je vous souhaite pour ce long congé de l'Action de grâce. Prenez le temps d'observer le monde sans vous. De contempler ce qui vous entoure. Si vous faites partie des chanceux entourés de beau, appréciez-le. Ce sera votre action de grâce.