La promenade des Anglais à Nice, c'est beau. Une avenue qui longe la mer. Ce sont des Anglais résidant sur la Côte d'Azur, l'hiver, qui l'ont tracée, au début du XIXsiècle. D'un côté, il y a l'effervescence des palaces, hôtels et casinos. De l'autre côté, il y a le calme de la Méditerranée. Ce sont les Champs-Élysées du Midi.

On y défile comme dans un film. En se disant qu'on est chanceux d'être là. Sous ses palmiers qui vous tendent les bras. On s'y prend en photo pour arrêter le temps. Pour pouvoir s'y revoir quand on sera de retour dans notre hiver. C'est un boulevard qu'on n'oublie pas, parce qu'on y est bien. Parce qu'on s'y sent léger.

Jeudi soir, en plus, c'était le 14 juillet, la fête des Français, la fête de la Liberté. L'endroit parfait pour célébrer. Tout le monde est là. Les vieux, les ados, les parents, les enfants, les bébés. Permission de veiller tard accordée. C'est le Noël de la fraternité.

La foule contemple les feux d'artifice. Des jets de lumière tombent du ciel. Et ça fait des oh ! Et ça fait des ah ! C'est fascinant, des pétards. À l'oeil, ce sont des jeux de couleurs. En formes d'étoiles, de fleurs, de coeurs. Rien de plus réjouissant. Rien de plus inoffensif. À l'oreille, ce sont les sons de la guerre. Pow ! Pow ! Pow ! Et re-pow ! Veux, veux pas, ça surprend toujours. Ça fait toujours un peu peur. Même si ce sont des explosions de bonheur.

Et puis, fixer le ciel, ça donne le vertige. On le regarde si peu souvent, le ciel. Surtout la nuit, quand il est noir infini. Il nous fait sentir si petit. Petit mais chanceux. Chanceux d'être du bon côté de l'infini. Celui de la vie.

Les feux viennent tout juste de finir. Les gens ont encore des étincelles dans les yeux. Et dans l'âme, l'envie douce d'être heureux. Et c'est à cet instant que l'horreur fonce sur eux. À toute vitesse.

Un camion fauche des familles, des amoureux et des rêveurs solitaires. Les cris d'émerveillement sont remplacés par les cris de terreur. Leurs yeux voient ce qu'ils ne veulent pas voir. La mort dans toute sa violence.

Ce n'est pas une scène d'accident. C'est une scène d'attentat. Le camionneur fait ça par exprès. Ce n'est pas la faute du destin. C'est la faute de l'humain. De l'humain inhumain.

Ce n'est plus la promenade des Anglais. C'est la promenade des innocents. Tués un soir d'été. Tués en train de fêter. Au moment précis où la vie semblait facile. Où l'existence avait presque un sens. Où c'était joyeux d'être ensemble. Pour une fois. On n'appelle plus ça un trouble-fête. On appelle ça un massacreur de bonheur.

Il y a au moins 84 anges de plus dans la baie des Anges.

Qu'ils reposent en paix.

La mort est-elle la seule façon pour les hommes de trouver la paix ? La sainte paix.

Les attentats meurtriers, qui sont le quotidien des gens au loin, commencent de plus en plus à devenir le quotidien des gens tout près. De nos cousins français. Je suis Charlie. Je suis le Bataclan. Je suis Nice, maintenant. On a beau être solidaire, ça n'arrête pas. Ça continue.

Après chaque catastrophe, nos consciences s'éveillent. On se regroupe. On marche dans la rue. On écrit des chroniques, des chansons. On sort de notre indifférence. On se dit que si l'on change, on va changer le monde. Et puis, ça recommence. Et puis, rien ne change.

Le monde n'est pas plus cruel qu'avant. Il l'est toujours autant. Depuis la nuit des temps. Des massacres, des guerres, des attentats, il y en a eu, il y en a, il y en aura.

Alors on fait quoi ?

On ne fait rien ? Sûrement pas ! On tue tous ceux qui nous tuent ? Cette solution n'a pas de fin. Il y a toujours un orphelin pour se venger.

Nous sommes tous des innocents, dans cette histoire. Ce qui est arrivé à Nice, ce n'est pas la faute des gens qui fêtaient sur la promenade des Anglais. Ni celle des milliards de badauds qui ont regardé ce drame aux nouvelles.

Les coupables sont ceux à qui le règne de la terreur profite. Et cette liste est longue. Longue de gens puissants.

Faudrait les arrêter de nous mener.

Faudrait les tasser.

Liberté, égalité, fraternité, qu'il disait. La solution est là.

Quand les innocents réaliseront qu'ils sont plus nombreux que les coupables. Quand les bons réaliseront qu'ils sont plus nombreux que les méchants. Qu'ils ont toutes les chances de gagner, s'ils passent à l'action. Il y aura une vraie révolution. Pas une révolution qui ne fait que changer le nom du tyran.

Une révolution pour le mieux.

Vous dites que c'est juste des mots. Vous dites que ça n'arrivera pas. Que ce n'est pas réaliste. Que c'est idéaliste.

Vous avez probablement raison. Parce que tant qu'on dira que c'est juste des mots, bien sûr, ça n'arrivera pas.

Le jour où tous les réalistes seront idéalistes, l'idéal se réalisera.

En attendant, regardez le ciel, ce soir. Pas besoin de feux d'artifice, pour le trouver beau, pour s'estimer chanceux de le voir.

Mes plus sincères condoléances à la France.

Mes plus sincères condoléances à l'humanité.