La radio est le plus intime de tous les médias. La télé est un souper en tête-à-tête. Elle est devant toi. Tu la regardes dans les yeux. Tu l'allumes. Le rendez-vous fini, tu l'éteins. La radio se glisse dans ta solitude. Elle ne joue pas sur le meuble ou sur le comptoir. Elle joue dans ta tête. Elle joue dans ton coeur. Elle te suit partout. Dans ta douche, dans ton char, dans ton lit.

Souvent, elle parle et tu ne l'écoutes même pas. Elle n'est qu'une présence pour alléger le silence de ta vie. Parfois, elle parle et tu n'as d'oreilles que pour elle. Elle prend toute la place. Tu arrêtes tout. Comme si quelqu'un venait d'arriver chez toi.

Ça m'arrivait tous les matins, à 7h05. Je pouvais être en train de me raser, de manger, d'écrire, je montais le volume. C'était la chronique de Jean Lapierre au 98,5. Jean Lapierre entrait chez moi. Il s'appuyait sur le lavabo ou se prenait un café dans la cuisine, en jasant politique. 

Bien sûr, ce n'était pas à moi qu'il parlait, c'était à Paul Arcand, mais j'avais l'impression de participer à leur conversation. D'être la troisième personne. Vous savez, celle qui écoute. Celle qui lâche des « ah ben ! » de temps en temps.

Il y a plein de gens doués à la radio, plein de chroniqueurs qui maîtrisent l'art de raconter, mais personne ne réussit à créer le contact comme Lapierre le réussissait.

Ça commençait par la bonne humeur. La bonne humeur de Jean Lapierre s'entendait des kilomètres à la ronde. Même quand il était choqué, même quand il était en joual vert, on décelait que dans quelques secondes, il allait retrouver son sourire. Même le grand Paul Arcand, qui a un petit côté grognon, devenait presque Youppi avec lui. On sentait que l'animateur de Puisqu'il faut se lever savourait chaque seconde de cet échange. On était en train d'écouter deux amis placoter. Pas des amis pour la forme, pas des amis pour faire un bon show. Non, deux vrais amis. Et on devenait leur ami, nous aussi.

Dans sa voix, il y avait aussi l'amour des gens. Des vraies gens. Bien sûr, il faisait partie des privilégiés, mais il n'avait jamais oublié que la politique, c'est avant tout les électeurs. C'est à eux qu'il parlait. Et les élus prenaient des notes.

Lapierre avait le ton, l'aisance, l'expertise, la connaissance pour rendre tous ses sujets intéressants. Et Arcand, la culture et l'intelligence pour rebondir avec lui.

Deux mémères. Mais deux mémères qui discutaient de choses importantes. Comment résister à savoir ce qu'ils se racontent ?

C'était captivant, tous les matins. Dix minutes dans une journée, c'est rien. Mais dix minutes, tous les jours, durant des années et des années, ça crée un lien. Un moment que l'on attend. Un moment que l'on tient pour acquis. Dans le tumulte de tous les changements, un point d'ancrage. Qu'un tsunami vient de rompre.

Il y a une personne de moins dans ma vie. L'ami de 7h05. Cette heure était la sienne, dans l'agenda de mes jours, et dans celui de milliers de gens. Nous y étions fidèles. C'est fou comme une habitude peut creuser sa place, en profondeur dans le coeur.

Jean Lapierre ne passera plus, ni chez moi ni chez vous, le matin. Un drame familial à la Kennedy a emporté le petit gars des Îles, sa femme, ses deux frères et l'une de ses soeurs. Écrasement d'avion. Il s'en allait aux funérailles de son père. Désespoir. On aimerait que le destin arrête de se prendre pour un scénariste de film-catastrophe.

On a tous vécu de grandes peines, dans nos vies. Mais on n'arrive pas à imaginer celle que vivent la mère, la soeur, les enfants et toute la famille de Jean Lapierre. Tellement d'êtres chers disparus en un coup de vent. C'est trop gros. Trop horrible.

On aimerait pouvoir faire quelque chose pour eux. Mais il n'y a rien que l'on puisse faire. À part une chose. Montrer à ceux qu'on aime fort qu'on les aime fort. Parce qu'on ne sait jamais quand on peut les perdre. Ça ne consolera pas les Lapierre. Mais au moins, au bout de leur tragédie, il y aura un peu plus d'amour. Ça ne peut pas faire de tort.

Jean Lapierre n'était pas un héros, un libérateur, un visionnaire. Faut pas partir en peur. Mais c'était un talentueux communicateur. Et il a réussi ce que peu de gens réussissent. Faire partie de nos vies, tous les jours, de 10 minutes en 10 minutes. À Cogeco ou à TVA. En nous jasant ça. C'est bien beau les grands discours, les directives, les commandements, mais ce que l'on a besoin, avant tout, c'est quelqu'un qui nous parle. Qui prend le temps. Pas juste tous les quatre ans. Tous les jours. Lapierre le faisait. Bien sûr, il était payé pour ça. Mais le plaisir qu'il y prenait était vrai. Et ce plaisir était contagieux.

Merci au Jean des gens.

J'aimerais dire merci, aussi, à toutes ces voix qui nous accompagnent, au fil des jours. Pour ne pas le leur dire trop tard. Les Arcand, Ron, Le Bigot, Nuovo... Votre présence est importante.

Toutes mes sincères condoléances à la famille et aux proches de Jean Lapierre. Sachez que j'ai en moi un bout de votre peine.

Il est 7h06. La vie continue. Salut, salut.