C'est la plus grande nuit de la musique sur Terre. Les Oscars de la mélodie. Ça s'appelle les Grammy Awards. Grammy pour gramophone. Un nom qui traverse les âges. Que nul scandale ne peut éclabousser. Bien sûr, les tourne-disques, juke-box, walkman, lecteurs laser, MP3 et Spotify ont suivi, mais si l'industrie de la musique existe, c'est parce qu'un jour, il y a eu un gramophone. Et qu'il n'y a pas seulement un chien qui lui a prêté l'oreille.

Donc, nous sommes lundi, à Los Angeles, et c'est la 58e remise des Grammy Awards. Ils sont tous là. Toutes les stars de l'univers pop. Taylor Swift, Bruno Mars, Justin Bieber, Kendrick Lamar, Sam Smith, Ed Sheeran, Beyoncé, Stevie Wonder, Lady Gaga. Même Adele est là. Et en plus, elle chante. Mais son son est aussi mauvais que celui de son vieux cellulaire dans Hello. Ce sont des choses qui arrivent. On prend un autre appel.

Le gala, pour le quidam assis dans son salon, c'est assez agréable. Y'a des bons bouts et des longs bouts. Y'a du stock pour s'extasier et du stock pour chialer. Ça divertit. Quand c'est moins intéressant, vous zappez au match du Canadien. Ça ne prend pas de temps que vous avez le goût de revenir aux Grammy. Un petit lundi soir ben correct. Le gala, pour la super vedette présente sur les lieux, c'est un méchant party. Sexe, robes et rock and roll. Le gala est la partie la plus tranquille de la soirée. C'est après qu'ils s'éclatent en masse.

De toutes les légendes réunies, la plus connue, la plus importante et la plus riche est Paul McCartney. C'est le héros des héros.

Dans l'histoire de la culture populaire, il y a les Beatles et les autres. McCartney, c'est le summum. Si vous voulez envoyer le selfie qui va faire mourir d'envie le plus de gens sur la planète, vous le prenez avec lui. Le pape arrive loin deuxième. Et Denis Coderre, bon troisième.

Le gala fini, Sir Paul McCartney veut aller faire la fête avec son ami Beck. Il se présente à l'Argyle Club de Los Angeles, où a lieu la réception donnée par le rappeur Tyga. Il attend devant la porte. Quelqu'un le reconnaît et se met à filmer. Paul mâche sa gomme. C'est un monsieur de 73 ans avec une bouille d'adolescent. Il a le collet de chemise relevé, à la Beatles. La porte du club s'ouvre, McCartney se faufile vers l'ouverture. Mais il n'entre pas. Ça discute un peu. Et la porte en métal se referme.

Ben voyons ! Tu es propriétaire d'une boîte de nuit, l'idole des idoles cogne chez toi, tu lui ouvres et tu dis merci. À la plage de Pointe-Calumet, ils donneraient une fortune pour que Paul vienne faire bronzer ses tétines sur leur chaise longue. OK, à Los Angeles, ils sont blasés. Des icônes, y'en a dans tous les dépanneurs. Mais là, c'est Paul McCartney ! La NASA fait jouer une chanson des Beatles pour tenter de créer un contact avec les galaxies lointaines. R2-D2 sait c'est qui, Paul McCartney. Le club a beau être plein, il est tout mince. En plus, c'est un végétarien, il n'enlèvera pas d'ailes de poulet à personne.

La porte de l'Argyle Club s'ouvre de nouveau. Bon, quelqu'un doit venir d'allumer. Ça se remet à discuter. Des gens de l'entourage de McCartney s'approchent. On explique calmement à qui ils ont à faire. Yesterday ? Let it be ? Hey Jude ? Ça sonne quelque chose à vos oreilles ? On dirait que non. Réponse de la personne responsable : vous n'êtes pas des V.I.P. Si Paul McCartney n'est pas un V.I.P. dans la société du jet set, qui l'est ? Le P, dans V.I.P., c'est pour lui. Very Important Paul.

Rien à faire. Tout le monde reste sur le trottoir. Popaul, connais pas ! Hello, goodbye ! Retournez d'où vous venez ! Le cute des Beatles ne s'impatiente pas. Il regarde son ami Beck et lui dit : « On a besoin de faire un autre hit. » Il retraite vers la limousine, le pas sautillant, comme à 20 ans. Cool. Zéro agressivité. Zéro crise de diva.

Il vient de se faire refuser l'accès à une boîte de nuit. Ça doit faire 50 ans que ça ne lui est pas arrivé. Ben coudonc ! C'est pas la fin du monde. Il va aller fêter ailleurs. Ça serait étonnant que deux partys le refusent.

Toute notoriété a ses limites. Les accès que permet la célébrité sont des privilèges, pas des dûs. On les obtient parce qu'on est reconnu. Si on ne nous reconnaît pas, ben tant pis. Faut l'accepter. McCartney l'a compris. Son attitude est une leçon de show-business pour toutes les petites vedettes à la noix. Vous me direz qu'il a fait preuve de retenue parce qu'il se savait filmé. Peut-être. Mais y'en a une maudite gang qui aurait pété leur coche, quand même. La classe de McCartney est admirable.

And in the end, the love you take is equal to the love you make. Il ne l'a pas juste chanté. Il l'a mis en pratique.

C'est juste un potin d'après-gala, mais il fait un joli contraste avec tout le strass et la starmania qui entourent le monde de la musique. C'est vrai que vous chantez bien, mais c'est pas une raison pour avoir l'ego enflé. C'est pas si pire que ça, se faire traiter comme n'importe qui. On y survit. Si McCartney est capable de le prendre, tout le monde devrait l'être. OK, y'a un gars à l'Argyle Club qui doit apprendre qu'il y avait de la vie avant les Kardashian. Mais son ignorance aura donné droit à un petit moment d'anthologie.

Tout peut arriver.

Même Adele peut avoir une mauvaise soirée.

Musique et glamour, c'est bien.

Musique et humilité, c'est encore mieux.