Il y a 55 ans aujourd'hui avait lieu le premier débat politique de l'histoire de la télévision. Il opposait le candidat républicain Richard Nixon au candidat démocrate John Kennedy; 70 millions d'Américains étaient devant leurs téléviseurs pour assister à la confrontation entre les deux hommes.

Nixon a refusé de se faire maquiller. Il apparaissait à l'écran pâle, suant, fatigué. Kennedy, qui revenait de faire campagne en Californie, était bronzé, frais, reposé. Bref, il avait l'air d'un Kennedy. Il a remporté le débat et est devenu, quelques mois plus tard, le 35e président des États-Unis d'Amérique.

Le grand pouvoir du petit écran était confirmé. Le débat télévisé devenait, dès lors, un moment-clef des campagnes électorales.

Le grand débat des chefs, qui a eu lieu jeudi soir, ne passera pas à l'histoire. On n'en parlera sûrement pas dans 55 ans. Au fil du temps, ce rendez-vous obligé s'est édulcoré. Il a perdu tout son piquant. Que voulez-vous, comme dirait le mentor de Justin? C'est rendu trop compliqué. Pourtant, à la base, la formule est simple. La joute oratoire s'inspire du match de boxe. Dans le coin gauche, Kennedy. Dans le coin droit, Nixon. Ding! Ding! Le combat commence.

Le concept fonctionne à merveille quand il y a deux candidats, mais quand il y en a cinq, c'est une autre paire de manches. Imaginez un combat de boxe avec cinq boxeurs, en même temps, dans l'arène. Jean Pascal, Adonis Stevenson, Lucian Bute, David Lemieux et Eleider Alvarez se mesurant, au même moment. Les uns contre les autres. Les coups viendraient de partout. L'arbitre en perdrait la tête. La boxe à cinq, ce n'est plus de la boxe. Un débat à cinq, ce n'est plus un débat. C'est un forum. On peut opposer un point de vue à un autre point de vue. Mais comment opposer cinq points de vue différents? Ça devient mêlant. Et on est mêlé.

Ça devient aussi cacophonique. Comme on l'a vécu, à quelques reprises, jeudi dernier. C'est le syndrome 110%. Si tout le monde parle à son tour, c'est plate. Si tout le monde parle en même temps, c'est incompréhensible. On a le choix: comprendre ce qu'ils disent, et trouver ça plate, ou ne rien comprendre de ce qu'ils disent et trouver ça confus. Platitude ou confusion? Qu'est-ce qui est préférable? On pourrait en débattre longtemps.

Pour éviter que le débat devienne une foire, on impose des règles tellement strictes qu'elles tuent la dynamique. On se retrouve devant cinq univers parallèles qui se croisent très rarement. Chacun fait son discours, comme si les autres n'existaient pas. Peu importe la question, on répond ce qu'on avait décidé de dire sur le sujet, avant même de savoir ce que serait la question.

- Aimez-vous les petits pois?

- Je pense que l'alimentation est quelque chose de fondamental. Et qu'un régime équilibré est important pour la santé. Votez pour moi, et vous mangerez!

Oui, mais aimez-vous les petits pois?! On ne le saura jamais. Plus une réponse est claire, plus elle est dangereuse, parce que les gens vont la comprendre. Et quand les gens comprennent, ils se font une opinion. Et rien n'est plus dangereux qu'une opinion, surtout quand ce n'est pas la nôtre.

Un débat sans réel échange donne un débat sans réel gagnant. Chaque clan soutient que son candidat a gagné. Et au bout de deux heures de télé, on n'est guère plus avancé. Comment faire un débat qui nous permettrait vraiment de juger de la valeur des hommes et de la femme qui se présentent pour la plus importante fonction de notre société? Après celle de gardien de but du Canadien, bien sûr.

Pourquoi ne pas faire un quiz, au lieu d'un débat? Un bon vieux jeu-questionnaire. Ça, ça fonctionne avec cinq participants. Pas des questions subjectives auxquelles on peut répondre n'importe quoi. Mais des questions objectives pour lesquelles une bonne réponse existe.

Il ne faut pas demander: que pensez-vous de l'économie canadienne? Il faut demander: quel est le déficit du Canada? Quel est le salaire moyen d'un Canadien? Combien y a-t-il de fonctionnaires au fédéral? Des questions qui nous permettraient de savoir quel leader connaît le mieux ses dossiers. Pour toutes les professions importantes, il y a un test d'admission. Faisons passer aux candidats un test d'admission pour devenir premier ministre du Canada. Pour déterminer le gagnant, ce ne serait pas compliqué. Celui qui a eu le plus de bonnes réponses gagne. Ce serait impossible à contester.

Oublions le débat et faisons un gros Tous pour un sur le Canada. Leurs phrases pour faire des clips, ils les claironnent durant trois mois, pas besoin de venir nous les remâcher encore. On les connaît. Ce que nous ne connaissons pas, ce sont leurs compétences. Qui est le plus à son affaire? Un quiz nous le révélerait.

Il y a 55 ans, John Kennedy a gagné le premier débat de la télé grâce surtout au paraître. Aujourd'hui, les politiciens ont appris la leçon. Jeudi dernier, tous les chefs étaient habillés de la même façon. Même Mme May. Quand on les regardait les cinq en même temps, on aurait dit un groupe, on aurait dit une version foncée des Classels. Côté teint, tout le monde était de la même couleur sauf M. Mulcair qui était un peu plus orange, mais ça, c'est normal.

Une chose est certaine, il y a trop de temps perdu dans un débat à parler contre les autres. Pourtant, ça ne devrait pas servir à ça. Un débat sert à convaincre. Et non pas l'inverse. Un débat ne sert pas à vaincre con.

Bon débat! N'oubliez pas, il y en a un autre, cette semaine...