Début juillet, le dentiste américain Walter J. Palmer est au Zimbabwe, pour faire son activité préférée: chasser le gros gibier.

Début juillet, le lion africain Cecil est dans le parc national Hwange au Zimbabwe, pour faire son activité préférée: dormir. Un lion mâle dort 20 heures par jour. On l'appelle le roi des animaux, mais on devrait l'appeler le sénateur des animaux. Cecil est la vedette du parc national à cause de sa crinière noire. Les touristes le contemplent et le photographient. Il n'est pas juste un lion, il est Cecil. Une star.

Walter a payé 50 000$ à la société Bushman Safari pour pouvoir abattre un lion. Cecil peut dormir en paix, la chasse est interdite dans le parc national Hwange. Quoique le danger est juste à côté.

Les guides de Walter, ne trouvant pas de lion pour satisfaire les envies de leur client, ont une idée: attirer Cecil avec de la charogne pour pouvoir le tuer en dehors des limites du parc. Là où c'est permis.

Cecil aime dormir et manger. Il sent la charogne et va la trouver. Près de la charogne, il y a des charognards. Walter tire une flèche sur Cecil. Puis il le pourchasse, pendant 40 heures, avant de finalement l'achever d'une balle à bout portant.

Walter l'a, son lion. Il est content. Il pose à côté de son gibier. Walter est le plus fort. C'est lui, le roi.

Le problème, c'est que, cette fois, Walter n'a pas tué n'importe quel animal. Il a tué un animal avec un nom. Il a déjà tué un lion sans nom, un ours brun sans nom, un léopard sans nom, un rhinocéros sans nom, et personne ne lui en avait tenu rigueur. Pour les humains, les animaux sont tous pareils. Du bétail. Sauf les animaux qui ont un nom. Leur chien Fido, leur chat Minou, le dauphin Flipper, le kangourou Skippy et le lion Cecil.

Quand une association zimbabwéenne de lutte contre le braconnage a révélé que le dentiste du Minnesota avait tué Cecil, tous les réseaux sociaux ont sorti leurs crocs. Ça rugit fort, des réseaux sociaux! Le chasseur est devenu une proie.

Il y a des milliers d'êtres humains qui sont morts de faim, de la guerre, du terrorisme ou de la haine, cette semaine, mais on a plus parlé dela disparition d'un lion. Parce que ce lion-là, des gens le connaissaient. La peine vient de l'attachement. On devrait plus s'attacher les uns aux autres.

Grâce à Cecil, tous les animaux anonymes tués par des chasseurs sont vengés. Soudain, on réalise l'insignifiance du geste. Payer 50 000$ pour tuer un lion, qu'il soit dans le parc national ou non, c'est aussi con. C'est quoi l'exploit? T'as un arc et une carabine et lui n'a que sa force. N'appelez pas ça un sport, s'il vous plaît! Dans toute compétition sportive, les adversaires sont à armes égales. Dans un ring de boxe, il n'y a pas un boxeur avec des gants et l'autre avec une mitraillette. Je ne comprendrai jamais la fierté d'avoir tué un être vivant. C'est un passe-temps d'un autre temps. Il n'y a aucune raison de tuer un lion qui ne vous menace pas. Qu'il s'appelle Cecil, Simba ou Personne.

Les chasseurs de chevreuils peuvent toujours prétendre qu'ils chassent pour manger. Admettons. Même si le plaisir de manger n'explique pas le plaisir d'abattre. Mais les chasseurs de lions, ils chassent pour quoi? Pour être en lien avec la nature? Pour revenir à l'état sauvage? Si tu veux jouer à Tarzan, habille-toi comme lui. Tarzan n'avait pas de fusil dans son Speedo. Il n'avait que son cri. Qui doit venir naturellement quand on est tout nu devant un lion. La chasse au lion est une chasse sans raison.

On peut s'en prendre au dentiste, mais il n'est pas le seul coupable dans cette histoire. Les gouvernements doivent légiférer pour empêcher ce genre de pratique. Mais tant que des Buffalo Bill seront prêts à payer des fortunes pour assouvir leur passion, on risque d'attendre longtemps. L'argent est l'arme ultime.

À nous de nous indigner, pas seulement quand le lion est une star. Peu importe la couleur de sa crinière, il faut faire comprendre qu'il y a mieux à faire avec 50 000$ dans la vie. La fierté d'aider une cause noble devrait être plus grande que celle d'avoir tué un noble animal.

Pour être révolté par la cruauté, l'humain a besoin de se sentir concerné. Nous nous sommes sentis concernés par l'histoire de Cecil, tant mieux. Il ne faut surtout pas se scandaliser de notre grande sensibilité face à la mort de Cecil. Au contraire. C'est cette réaction-là qui est normale. La réaction pas normale, c'est celle que nous avons tout le temps, face à la mort de millions d'autres créatures. Qu'elles soient animales ou humaines, rois ou sans-papiers. L'indifférence tue aussi.

Il faudrait tous avoir sept milliards d'amis Facebook, les connaître par leurs noms et s'en inquiéter. Et vouloir les garder.

En attendant, le lion est mort.

Il ne sera pas mort pour rien, si d'autres lions sont sauvés.

Walter, allez donc golfer, à la place. La petite balle, vous pouvez la frapper tant que vous voulez, personne ne va s'en offusquer.