La famille est tout excitée. On s'en va en vacances, demain matin. Ça court partout. Ça met du linge et des objets dans des valises. Du jus et des sandwiches dans la glacière. Des oreillers et des couvertures dans la voiture.

J'aimerais bien participer à la frénésie collective, mais je suis un peu dépassé. D'abord, c'est quoi des vacances? Ma mère m'a dit que c'était les plus belles journées de l'année. On ne travaille pas, on ne fait que jouer et s'amuser. Je ne comprends pas ce qu'il y a d'extraordinaire là-dedans. J'ai 4 ans. Je ne travaille pas, je ne fais que ça, jouer et m'amuser, à l'année. Depuis quatre ans. Pour moi, c'est business as usual.

Au fond, les vacances, c'est quand les adultes font comme moi. Les vacances, c'est quand les adultes ont 4 ans. Sauf que les adultes sont spéciaux, ils ne sont pas capables d'être en vacances chez eux. Pour être vraiment en vacances, ils doivent quitter leur maison. Partir. Voilà pourquoi, tout le monde ramasse tout ce qu'il y a ici pour l'amener là-bas. Pour que là-bas, on soit comme chez nous. Mais ailleurs. L'homme est un escargot.

Nous partons aux aurores pour un pays éloigné: les États-Unis d'Amérique. Ça me stresse un peu. Tout ce que j'en connais, je l'ai vu dans Tintin. C'est plein de méchants, de fusils et de flèches. Faudra être prudent. Bonne nuit!

Habituellement, le samedi matin, c'est moi qui réveille tout le monde. Aujourd'hui, c'est tout le monde qui me réveille. Ça descend et ça monte l'escalier. Ça ouvre et ça ferme les portes. Il est 5h du matin, et les Laporte sont prêts. Je suis le dernier paquet qu'on glisse dans l'auto.

Nous sommes partis. J'ai mal au coeur. Et on est à peine rendus sur le boulevard Décarie. Pourquoi faut-il aller si loin? Pourquoi Papa, Maman, mon frère et ma soeur ne sont tout simplement pas venus passer leurs vacances, dans ma chambre, avec moi? Tout est là, et ce qui n'y est pas, on se l'imagine. Et c'est encore plus beau, et c'est encore plus vrai.

Ça fait trois heures qu'on roule. On est rendu aux États-Unis. Ça ressemble pas mal à ici. On dirait juste qu'il y a moins de gens. Paraît qu'il ne faut pas se fier aux premières impressions. Tout le monde somnole. Sauf mon père, heureusement. Au volant de son Impala de l'année, avec la fumée de sa cigarette qui sort par la fenêtre, on dirait une locomotive.

Ma mère a décidé de couper le trajet Montréal-Cape Cod, en deux. On arrête à mi-chemin, dormir dans le New Hampshire. Au Indian Head Resort. Ma mère dit que la montagne est en forme de tête d'Indien. Comme celle de Radio-Canada. Je ne la crois pas. Ça ne se peut pas, une montagne en forme de tête d'Indien. Depuis qu'on s'en approche, je n'arrête pas de demander: «Elle est où la montagne? Elle est où?» Chaque montagne que l'on croise, j'essaie d'y voir une tête d'Indien. Je n'y arrive pas. J'y vois, en forçant un peu, un chapeau melon, un chapeau de lutin, un casque de bain, un ballon de football, mais pas de tête d'Indien.

Soudain ma mère dit: «Regardez à droite!» Je tourne la tête. Et ça y est! Le chandail des Black Hawks de Chicago! Fait tout en sapins! J'ai les yeux grands comme les phares de l'Impala. Ma mère avait raison. Une montagne en tête d'Indien. Je serais devant les pyramides que je ne serais pas plus en extase. Wow! J'en reviens pas! C'est génial voyager! On voit des choses qu'on n'aurait même pas osé imaginer.

Le lendemain matin, je ne veux pas quitter le Indian Head Resort. Je veux gravir le nez, je veux marcher sur les plumes. Mon père klaxonne. Il est 6h. On avait dit qu'on partait à 6h. On part à 6h. Je chigne un peu. Ma mère me console:

«- À Cape Cod, tu vas voir quelque chose, d'encore plus beau, tu vas voir la mer!

- La mer, elle est en forme de quoi?

- Elle est en forme d'infini...»

Oh boy! Ma mère est un peu abstraite pour mon cerveau de 4 ans. En forme d'infini? Mon disque dur travaille dur!

Toutes les montagnes que l'on croise sur la route ne sont plus à mes yeux des montagnes anonymes. Maintenant que j'ai créé un lien avec l'une de leurs semblables, elles sont devenues toutes spéciales. Elles font toutes parties de la famille d'Indian Head. Elles sont toutes vivantes. Magiques. Je n'ai plus mal au coeur. J'ai juste envie de voir d'autre jamais vu.

Je suis encore en train d'essayer de prononcer le nom Massachusetts comme du monde, que notre voiture roule devant l'océan. Je n'ai pas assez de deux yeux pour en cadrer toute la largeur, toute la longueur. C'est comme arriver face à face avec tout un continent, d'un coup. Nos yeux voient jusqu'à ne plus voir. Et même rendu là, on voit encore. Si l'amour rend aveugle, la mer rend voyant. J'comprends pourquoi la famille avait hâte d'aller en vacances. Des vacances, ce n'est pas juste ne pas travailler, c'est voir, sentir et entendre. C'est se bourrer la tête d'images qu'on ne savait pas possibles.

C'est découvrir. On est tous des Christophe Colomb. Chaque lieu que l'on explore pour la première fois est une découverte. Notre découverte. On se l'approprie. Au nom de notre roi. Au nom de notre vie. Et l'on se découvre à lui.

L'année prochaine, moi aussi, je me dépêcherai de faire ma valise. Pour aller revoir ce que j'ai aimé et aller aimer ce que je n'ai pas vu encore.

Bonnes vacances, tout le monde!

Je vous souhaite plein de belles images. Dans votre cellulaire mais surtout dans votre coeur d'enfant.