De nouveaux voisins viennent de s'installer à côté de votre maison. Vous ne connaissez rien d'eux. Est-ce des motards? Des criminels recherchés? Des membres d'une secte? Des airs bêtes? Des fouineux? Cessez d'angoisser. Il suffit de savoir leurs noms et vous saurez tout d'eux.

Jadis, on ne savait des inconnus que le numéro de téléphone. D'Aaron à Zatopek, on était tous répertoriés dans le bottin téléphonique, en ordre alphabétique. Résumés en une ligne: Donatien Boivin, 384, rue des Érables, Laval 450 555-5555. C'était tout.

Seuls les gens qui se trouvaient dans le dictionnaire avaient le droit à plus de détails. Mais pour se retrouver dans le dictionnaire, il fallait avoir marqué l'Histoire avec un grand H. Peu de chances que Napoléon, Maria Callas ou Albert Einstein déménagent à côté de chez vous.

Puis les internets sont arrivés. Et plus de gens étaient dorénavant classés et résumés. Pas juste les monuments, les vedettes aussi. Wikipédia s'est mis à faire des fiches sur tous les gens qui avaient fait parler d'eux, un tant soit peu. Et si personne chez Wikipédia ne pensait à vous, vous pouviez y écrire vous-même votre bio. Toutes les informations n'étaient pas toujours exactes. Rodger Brulotte y mesurait peut-être 6 pieds et 4, mais vous aviez quand même une petite idée de ce qu'il avait accompli.

Et puis les médias sociaux sont arrivés, et tout le monde s'est mis à balancer plein d'infos personnelles. Curriculum vitae, photos, opinions... On est tous des Jules César. On passe tous à l'Histoire.

Si bien qu'il suffit de taper Donatien Boivin dans Google pour tout découvrir sur sa vie. En un clic, vous aurez accès à sa page Facebook. S'il est discret, vous en apprendrez peu. Mais si Donatien est un gars ouvert qui donne accès autant aux écornifleux qu'à ses proches, vous saurez tout de lui. Sa job, sa femme, ses enfants, tout est là. Ses loisirs, ses intérêts, ses photos dans le jacuzzi. Vous saurez si votre voisin est du style bruyant ou silencieux. S'il écrit en majuscules ses statuts, gare à vous, c'est sûrement un criard. Si, par contre, il ne fait que partager ce que les autres écrivent, tenez-vous loin des fenêtres, c'est peut-être un voyeur.

Si vous googlez votre voisin et que vous ne trouvez rien, absolument rien, aucune trace électronique de son passage sur la planète Terre, méfiez-vous. Vous avez de l'autre côté de votre haie le dernier des inconnus. Que peut-il avoir à cacher? S'est-il créé une nouvelle identité au cours des derniers jours après s'être fait passer pour mort pour éviter des recours judiciaires? On ne sait jamais, tout peut arriver. Précipitez-vous dans sa cour, pour prendre un selfie avec lui, que vos abonnés s'empressent de l'identifier.

Que ce soit par nous ou à cause des autres, notre identité se répand partout.

En ce 4 juillet, le rêve américain est bel et bien réalisé. Il n'y a plus d'inconnu. Tout le monde est une star. La Starmania de Plamondon n'est pas une vision du futur. C'est le présent. Tout le monde est dans sa lumière. Bien sûr, on n'a pas tous droit à la même lumière. Madonna a un soleil, et moi, une 40 watts, mais tout le monde partage une vie publique. Avec qui veut bien la suivre. Faut-il pleurer, faut-il en rire?

C'est facile de dénigrer cette soif de reconnaissance. Mais quand on y pense bien, pourquoi serait-elle le monopole des artistes, sportifs et politiciens? Pourquoi un prof, une garagiste, un infirmier et une plombière ne pourraient-ils pas aussi agrandir le cercle des gens qui les connaissent?

Ce qui est ironique, c'est que les gens qui se plaignent de l'accessibilité universelle à une certaine reconnaissance sont ceux qui justement en ont une. Comment critiquer que quelqu'un désire être connu, alors qu'on l'est nous-mêmes. La célébrité n'est pas un droit divin. Il faut se croire un roi pour penser que le trône n'appartient qu'à nous.

Tu veux mettre tes photos sur les réseaux sociaux, mets-les, c'est ta face. Personne ne peut t'en empêcher. C'est Chagrin d'amour qui avait raison: «Chacun fait ce qui lui plaît, plaît, plaît...»

Après tout, les amis Facebook ne sont pas des amis à la vie, à la mort, mais ce sont des gens qui ne sont pas indifférents à notre existence. C'est déjà ça. L'ignorance est responsable de la bêtise humaine. Plus les gens vont se connaître, plus ils risquent de s'entendre. Vous me direz que plus ils ont des contacts entre eux, plus ils s'engueulent. Vrai. Mais c'est encore la façon la moins douloureuse d'expurger leur malaise d'être ensemble. Quand tout le méchant sera sorti, on peut espérer qu'il ne restera que le bon.

On ne vit que quelques décennies en ce beau monde, c'est normal de vouloir laisser son empreinte. Tous autant que nous sommes.

Maintenant, il ne faut pas se conter d'histoire. C'est pas parce qu'on a répondu non à un courriel nous demandant si on voulait donner accès à nos renseignements que Big Brother ne pige pas dedans allègrement. Ça s'appelle une autoroute électronique. Pas un petit chemin caché électronique. Quand vous embarquez sur le réseau, vous êtes en voiture, et ça roule à un milliard de voies de large. Votre voiture est plaquée. Et il y a des radars photos partout.

Bref, si vous voulez conserver votre jardin secret, ne mettez pas sa photo sur Instagram. Il n'est plus secret. Si vous voulez que des éléments de votre vie restent privés, oubliez le réseau. Mettez-les dans une boîte en carton en dessous du lit. Votre dessous de lit devrait être moins passant qu'Explorer ou Safari.

En terminant, si vous pouvez googler votre nouveau voisin, dites-lui qu'il peut faire la même chose. Soyez pas surpris si tantôt, il vous félicite pour votre récente transplantation capillaire. C'est ça, être connu.