Les vivants respectent les morts. C'est facile et c'est utile. Ils leur rappellent plein de souvenirs. Ils les ramènent au bon vieux temps. Un proche ou une personnalité perd sa vie, et c'est toute notre vie qui défile sous nos yeux, sans que le mot fin apparaisse. Pour nous. Pas encore. Ça émeut sans tuer. Ça nous bouleverse, sans nous déverser.

On s'identifie toujours à un mort. La mort de quelqu'un nous fait réaliser que notre tour s'en vient. Dans pas long. On vit, on fait ses petites affaires, soudain quelqu'un meurt pendant que l'on dormait ou que l'on prenait notre café, et on se rend compte qu'un jour, c'est nous qui mourrons, pendant que les autres dormiront ou boiront leur café. Bête de même. Chaque fois que quelqu'un meurt, on sait que ça pourrait être nous. Alors on encense le mort pour se faire pardonner d'être encore là, pendant que lui n'y est plus. Le malchanceux.

On l'encense aussi pour lui donner tout l'amour qu'on avait gardé dans le coffre-fort de notre coeur. Dans son compte en nous. On le conservait là pour plus tard. Et maintenant, il est trop tard. On n'a pas eu le temps de lui montrer. Parce qu'on était occupé. Et parce qu'aussi, il faut bien le dire, au quotidien, parfois il nous tapait sur les nerfs. Alors, ça nous arrêtait. Mais maintenant qu'il est au ciel, on sort tout. Et on rajoute les intérêts. C'est ça qu'il y a de bien avec les morts, ils ne nous tapent plus sur les nerfs. Au contraire! Ils ne disent rien. Ils ne font rien. Ils sont parfaits. On peut raconter ce que l'on veut sur eux, ils ne viendront jamais nous contredire.

Si les vivants complimentent beaucoup plus facilement les morts que leurs contemporains, c'est parce que les morts ne sont plus menaçants. Un mort ne prendra pas votre place. Les vivants sont toujours en compétition entre eux. Un mort est hors compétition. Il ne viendra pas vous dérober la palme de la reconnaissance que vous convoitez tant. Il ne viendra pas vous faire perdre votre élection.

Le concert d'éloges entendu à la suite de la mort de Monsieur Jacques Parizeau est grandement mérité. Oui, Monsieur Parizeau est l'un des principaux bâtisseurs du Québec moderne. Oui, Monsieur Parizeau était doté d'une intelligence exceptionnelle. Oui, il était intègre, droit et se consacrait à l'avancement de sa société. C'était le professeur, et sa classe, c'était tout le Québec. Et nous avons beaucoup appris. Grâce à lui.

Bref, son passage solitaire sur notre terre nous a permis d'être meilleurs collectivement. C'est le plus grand héritage que peut laisser une existence.

Si l'empreinte de Monsieur Parizeau est si évidente sur les fondements de notre nation, pourquoi au crépuscule de sa vie, on l'appelait plus souvent la belle-mère que le grand sage? Une belle-mère, dans la mythologie vaudevillesque, ça parle pour rien. Ça chiale tout le temps.

Aujourd'hui, Monsieur Parizeau ressusciterait et on boirait ses paroles comme du petit-lait. Pourquoi de son vivant, ses sorties étaient accueillies, par plusieurs, avec un haussement d'épaules? Pas encore lui! C'est assez. Restez dans vos terres. Laissez-nous faire!

C'est ben beau le respect des morts, mais il serait temps que notre société apprenne le respect des vivants, le respect des anciens. Ceux qui avancent en âge zooment arrière sur la vie. Ça leur permet souvent de voir plus loin que les autres. De voir l'image au complet. Plus tôt, on a tendance à avoir le nez collé sur son nombril. C'est parfait pour le yoga, mais c'est moins bien pour la conscience du prochain.

S'il y a une leçon à retenir du départ de Jacques Parizeau, c'est celle-là. Laissons vivre les anciens. Laissons-les s'impliquer. Laissons-les briller.

En ce moment, il n'y a que les gens qui sont au coeur de l'action qui ont droit de cité. Les retraités doivent se taire. Les jeunes, se la fermer. Pourtant, autant il est important que la jeunesse s'exprime, invente, innove, autant il est essentiel que la vieillesse partage son expérience, sa réflexion, son savoir. Et ceux qui sont entre les deux prendront le meilleur du passé et de l'avenir pour guider le présent.

Il faut cesser de mettre en quarantaine la soixantaine et plus. Cesser d'attendre qu'ils meurent pour louanger leur valeur. Jusqu'à son dernier souffle, le jugement de Jacques Parizeau était d'une extrême lucidité. Une lucidité d'autant plus grande qu'avec les années le besoin de plaire nous dicte de moins en moins les choses. Dans le cas de Monsieur Parizeau, en plus, ce besoin a très peu teinté sa conduite. Peu importe son âge.

Mais en vieillissant, autant notre corps est plus dépendant, autant notre esprit est plus indépendant.

Bien sûr, il y a de vieux grincheux, qui radotent les mêmes inepties toute leur vie. Un jeune con devient souvent un vieux con. Mais il y a quelques éminences grises dont la pensée n'a cessé de grandir et de s'affûter avec le temps. Ce sont de vieux futés. De vieux sages. Faut pas les mettre à l'écart. Faut pas les comprendre qu'après leurs morts.

On a toujours prêté l'oreille aux propos de Monsieur Parizeau. La presse les a toujours fidèlement rapportés. Ils étaient trop bien formulés et explosifs pour s'en priver. Mais il aurait fallu aussi prêter le coeur. Les assimiler en nous. Comme on le fait maintenant.

Le professeur est parti, mais il nous a laissé des devoirs. À nous de les accomplir.

Un de ceux-là est sûrement d'apprendre à se respecter. À se considérer. À s'écouter et à se faire confiance. Tous ensemble. Avant notre mort.