Mardi en fin de journée, ma blonde et moi sommes au restaurant Seingalt, à côté de la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, pour le lancement de l'album Deschampsons, qui rend hommage aux chansons d'Yvon Deschamps. Plusieurs des interprètes que l'on retrouve sur le disque sont présents: Louise Forestier, Marie-Nicole Lemieux, Catherine Major, Michel Rivard, Damien Robitaille, André Sauvé, Pierre Verville, Vincent Vallières et, bien sûr, Judi Richards. La Judi d'Yvon.

Pendant que Monique Giroux et Geneviève Borne vantent, au micro, le talent de parolier du grand Deschamps, ma Marie-Pier murmure à l'oreille de Judi: «Regarde comme Yvon a l'air heureux.» Elle n'a pas fini sa phrase que Judi s'étire le cou pour apercevoir, à l'autre bout de la salle, son mari qui frétille de joie, près de la tribune. Elle le regarde, comme une fille de 16 ans regarde son kick à l'autre bout de la salle de danse. Des étoiles plein les yeux. Judi a toujours des étoiles plein les yeux, mais quand elle regarde son Yvon, vous pouvez y ajouter mille constellations.

Je l'observe regarder Yvon et mon coeur fond. Ça fait presque 50 ans qu'ils se connaissent. Quand Marie-Pier lui a fait remarquer à quel point son compagnon semblait heureux, elle aurait pu répondre, en souriant: «Oui, il est content.» Elle a eu besoin de le voir. Tout de suite. De le contempler. Ce fut son réflexe d'amoureuse. Cinquante ans plus tard, elle le regarde encore. Elle ne l'aura jamais trop vu.

Vous le savez, j'admire Yvon Deschamps. J'admire l'homme et son oeuvre. Selon moi, c'est le plus grand artiste québécois, toutes catégories confondues. D'ailleurs, il est hors catégories. Ce qu'il a fait, personne avant lui ne l'avait fait. Et depuis, personne ne l'a fait non plus. Personne ne le fera plus. Il a dévoilé l'âme des Québécois. Et comme, on a tous la même, il a dévoilé l'âme humaine. Avec humour, mais pas seulement avec humour. Avec amour, violence, tendresse et cruauté. C'est l'observateur le plus éclairé et le plus éclairant de notre société. C'est un comique et un tragique. C'est un tout. Un génial tout.

Cela dit, j'admire autant l'amour qu'il partage avec Judi que j'admire sa carrière. Ils sont beaux ensemble. Et ça fait du bien de savoir que l'homme qui chante Aimons-nous, aime et est aimé. Par nous. Et surtout par elle.

Entendre parler d'amour, ça fait rêver. Mais le voir quand Yvon et Judi sont ensemble, ça fait encore mieux que rêver, ça fait aimer la réalité. Je regarde Yvon et Judi et je me dis que la vie est aussi belle qu'eux. Pas tout le temps. Mais en ce moment, oui.

Tout le monde au lancement a la banane dans la figure. C'est que le bonheur d'Yvon est contagieux. On ne l'a vu pas si souvent ainsi. On l'a toujours vu drôle, riant aux éclats. Mais dans ses éclats de rire, il y avait une tension, une angoisse, un mal de vivre. Quelque chose qui rendait les éclats coupants. On dirait que ça s'est arrondi. Il doit sûrement encore avoir au fond de lui des caisses de lames d'incertitudes. Mais elles semblent moins lourdes à porter. Peut-être pas tout le temps. Mais en ce moment, oui.

Chaque fois que je le vois, j'essaie de le convaincre de revenir sur scène. C'est plus fort que moi. Le fan que je suis, s'ennuie. J'essaie encore, ce soir: «Ça te manque pas?» Il me regarde: «On est bien, Judi et moi, dans notre maison.»

Tantôt, c'est le regard de Judi pour son homme qui m'émouvait, là, ce sont les mots d'Yvon pour sa femme qui me bouleversent. On est bien, Judi et moi, dans notre maison. Tout est là, dans cette phrase. C'est ça l'amour, être complet grâce à la présence d'une seule personne. Yvon l'est quand Judi est là. C'est tout ce dont il a besoin, c'est vital.

Quand Yvon prononce le prénom Judi, il le dit avec des fleurs de la voix. Et chaque fois que je l'entends le dire, il y a toujours de plus en plus de fleurs dans la voix. C'est grand, un grand amour. C'est inspirant.

On s'est quittés, en fin de soirée, après le souper, et en rentrant, j'avais envie d'aimer encore mieux ma Marie-Pier.

Ça fait du bien, une semaine avant la Saint-Valentin, de constater qu'il n'y a pas juste des amours bonbons, des amours passades, des amours jetables, qu'il y a aussi des amours vrais, des amours purs, des amours qui durent. Des amoureux qui se sont beaucoup aimés. Aimé leurs enfants. Qui ont aimé leurs voisins. Et qui aiment encore. Et qui s'aiment encore. Encore plus.

Et qui nous font oublier, comme le dit sa chanson, que l'amour ne peut durer toujours.