Dans les années 70, le plus grand champion de tennis s'appelait Björn Borg. Une machine à l'allure de rock star. Il a remporté cinq fois Wimbledon et six fois Roland-Garros. Ses matchs de finale contre Connors et contre McEnroe font partie du grand florilège du sport, toutes époques confondues. Björn Borg était mon idole. Je l'aimais de loin, tout en me demandant: pourquoi il n'y a pas de grand champion de tennis québécois.

Les experts répondaient toujours, aux naïfs qui osaient poser cette question, deux choses: le bassin de la population au Québec est trop petit et le climat n'est pas propice à la pratique de ce sport à l'année. Bref, nous étions nés pour une petite raquette. Fallait l'accepter. Notre sport, c'est le hockey. Regardons les autres courir en culottes courtes. Ce n'est pas pour nous.

Pourtant, les exploits de Björn Borg smashaient tous ces arguments. Borg venait de la Suède, un pays à peine plus populeux que le Québec et au climat aussi nordique. Un pays de hockey aussi, mais ça ne les avait pas empêchés de produire le meilleur joueur de tennis au monde. Et un paquet d'autres excellents tennismen qui, inspirés par le blond phénomène, ont connu plein de succès chez les pros.

À un tout jeune âge, il était donc évident pour moi que la faible population et le mauvais climat n'étaient que des excuses de perdants. J'ai donc, innocemment, formulé un souhait: un jour, il y aura un grand champion ou une grande championne de chez nous. Et je me suis mis à le chercher.

Au fil des ans, de plus en plus de talents québécois et canadiens s'illustrèrent. Dans les années 80, il y a eu Carling Bassett qui a remporté quatre titres de la WTA et s'est rendue jusqu'en demi-finale du US Open. La pertinente commentatrice Hélène Pelletier, en double avec Jill Hetherington, a réussi à vaincre la légendaire Martina Navratilova jumelée à Fernandez, en Floride, en 1985. Le talentueux Martin Laurendeau s'est déjà rendu au 3e tour à Wimbledon. Au milieu des années 90, Sébastien Lareau a atteint le 76e rang mondial. Être le 76e au monde dans sa profession, ce n'est pas rien. En double, Lareau a remporté le US Open avec l'Américain Alex O'Brien et la médaille d'or aux Jeux olympiques de Sydney avec un autre illustre joueur de tennis canadien, Daniel Nestor, tenant de 85 titres en double.

Tous ces palmarès sont assez honorables pour être applaudis dans notre pays, mais pas assez exceptionnels pour faire rêver le reste du monde. Y'avait pas d'enfants suédois avec des photos de joueurs de tennis québécois dans sa chambre comme moi j'avais des photos de Borg dans la mienne.

Bien que je sois adulte depuis longtemps, mon coeur de fan n'a jamais cessé d'espérer l'as des as venu de chez moi.

Au cours des dernières années, il y a eu comme un déclic. D'abord chez les hommes, avec Vasek Pospisil et, surtout, Milos Raonic. Raonic, l'homme au service supersonique. Il a remporté cinq titres ATP. Il fait partie des 10 meilleurs mondiaux. Sera-t-il le nouveau visage du tennis masculin? Il est trop tôt encore pour le dire. Vendredi, il s'est incliné en demi-finale de Wimbledon contre l'éternel Federer.

Qu'importe vendredi, c'est aujourd'hui, le grand jour. Mon espoir de voir une idole de tennis venue du petit Québec trop froid se réalise enfin. Eugenie Bouchard va jouer la grande finale de Wimbledon. Qu'elle gagne ou qu'elle perde, elle se sera rendue plus loin qu'aucun joueur ou joueuse de tennis du Canada ou du Québec ne se sera jamais rendu. Une finale du Grand Chelem. Et à 20 ans à peine! Bouchard est l'avenir du tennis féminin. On peut même dire qu'elle en est le présent. Partout dans le monde, des milliers de jeunes ont sa photo dans leur chambre. Elle n'est pas juste un pétard de beauté, elle est un feu d'artifice de talents. C'est une gagnante. Une vraie.

Bravo à Eugenie d'avoir toujours cru qu'il y avait une place pour elle au sommet. Elle vient d'ouvrir les horizons, pas seulement à tous les enfants qui pratiquent le tennis, mais à tous les gens qui se trouvent des excuses pour se contenter de ce qu'ils ont, et surtout de ce qu'ils sont. Pour devenir ce que l'on aspire à être, il ne faut jamais cesser de le vouloir. Il faut vouloir comme on respire. Sans cesse.

Ce ne sont pas les facteurs extérieurs qui créent les champions. Ce sont les facteurs intérieurs. Peu importe où nous sommes, le sommet, il est en nous.

Dans les livres de contes, c'est un Génie qui réalise les voeux d'enfants. Cette fois, c'est une Genie. Merci et bon match, mademoiselle Bouchard!