Chaque fois que je monte dans un avion, la même pensée m'habite, ma vie ne m'appartient plus. Elle est dans les mains du pilote. Elle est liée aux destins de tous ceux qui m'entourent dans cette carlingue de tôle. C'est comme être sous anesthésie. Quelqu'un d'autre est responsable de mon souffle.

Dès que la porte est verrouillée, que l'avion quitte la barrière, je suis enfermé. Je ne peux plus sortir. Un avion est une prison avec des ailes. Je peux toujours tenter de me libérer en sautant en bas d'un taxi, d'un train ou d'un bateau. Je ne peux pas sauter en bas d'un avion. J'y suis, j'y reste. Finie mon autonomie. Je ne suis plus en contrôle de rien. Je ne peux pas changer d'idée. Si l'avion se met à brasser, je ne peux pas débarquer. Je ne peux pas proposer un autre trajet. On décide pour moi. Je suis un enfant d'un an attaché dans son siège d'auto. J'irai où vous irez.

Et tous les autres passagers sont aussi vulnérables que moi. Même ceux en première classe. Rien n'est plus démocratique qu'un écrasement d'avion.

Ce n'est pas tant la peur que l'avion tombe qui m'angoisse, c'est le sentiment de ne plus être responsable de ma propre personne qui me donne le vertige. Tout dépend des ingénieurs qui ont dessiné cet avion, des ouvriers qui l'ont construit, des techniciens qui l'ont vérifié, de l'équipage qui le pilote et des agents de sécurité qui ont veillé à ce qu'aucun passager voulant détourner l'appareil ou faire exploser un engin ne soit à bord.

Ça fait bien du monde. Bien du monde à qui je dois m'en remettre totalement. Vous me direz que c'est ainsi, aussi, sur la terre ferme. Chaque fois que je roule sur le pont Champlain, je risque ma peau. Mais ce n'est pas pareil. Le danger fait moins peur quand on est au volant. On compte sur soi.

Prendre l'avion est un acte de foi. C'est le prix à payer pour aller au ciel en étant toujours vivant. Chaque fois que je contemple les nuages de mon hublot, je me dis que je ne suis pas censé être là. Je suis censé les regarder d'en bas, pas d'en haut. J'ai pris un raccourci. J'ai voulu semer le temps. Et vite qu'on atterrisse avant que ne le temps me rattrape.

Les 239 passagers du vol MH 370 voulaient aller de Kuala Lumpur à Pékin le plus rapidement possible. On ne sait plus où ils sont rendus. La CIA peut localiser un cellulaire n'importe où sur la planète, mais personne ne peut repérer un Boeing 777. C'est aussi absurde que ça.

Toutes les hypothèses ont été avancées: un passager terroriste, un pilote fou, un extra-terrestre curieux.

Qu'il y ait encore des mystères en 2014 est une leçon d'humilité pour l'humanité. Malgré tous nos radars, tous nos ordinateurs, tous nos satellites. On a perdu la trace d'un vol commercial. D'un bimoteur gigantesque. Pas une heure, pas une nuit depuis 15 jours, et peut-être pour toujours.

Monter dans un avion, c'est plus que croire en Dieu, c'est croire en l'homme. Croire en autrui. Croire que ceux qui en ont la responsabilité tiennent autant à la vie que nous. C'est ce que l'on se dit pour se rassurer. Bien sûr que le pilote a tout vérifié comme il le faut, il ne veut pas mourir, lui non plus. On n'avait pas pensé que le pilote pouvait être suicidaire. Est-ce le cas du vol de la Malaysia Airlines? On ne le sait pas. On ne sait rien. Mais je suis certain que bien des gens qui ont pris l'avion depuis cette étrange disparition ont souhaité que le pilote soit un jovialiste voulant vivre jusqu'à 100 ans.

Au début de l'aviation, les hommes qui volaient étaient des aventuriers. Des trompe-la-mort qui risquaient leur vie. Puis, prendre l'avion fut un privilège offert aux riches. Les voyageurs avaient l'impression d'être dans un club privé. Tout était rassurant. Les hôtesses et le champagne. Aujourd'hui, on essaie de nous faire croire que l'aviation est un moyen de transport comme un autre. On nous entasse comme dans le métro. On nous donne des peanuts et on ferme sa trappe.

Mais l'aviation sera toujours un défi à notre morphologie. L'homme a les deux pieds sur terre, avant de finir sous terre ou en poussière. Et peu importe la grosseur des engins qui nous permettront de voler, ce sera toujours un minuscule point dans l'infini du ciel. Un point qu'on peut perdre de vue.

J'ose espérer qu'on retrouvera les passagers du vol MH370 dans une île déserte, en train de jouer à Occupation double. Mais tout laisse croire que leur destin est moins exotique.

On confie plus que nos bagages aux compagnies aériennes, on confie nos vies. Cette confiance n'a rien d'ordinaire. À elles de tout faire pour la mériter.

Toutes mes pensées sont avec les familles et les proches des disparus.