Nous sommes des millions, cette semaine, à avoir vu le président Kennedy être assassiné. Pour bien des jeunes, c'était peut-être la première fois. Pour les plus vieux, c'était la dixième ou la centième fois. Peu importe, on fait toujours la même grimace quand on voit cette scène. Ce sont des images qui nous transpercent, qui nous font mal.

La mort du président Kennedy est le premier événement de l'ère moderne capté pour toujours. Archivé à jamais. Il existe des images des deux premières guerres mondiales qui nous permettent de reconstituer l'horreur de ces conflits. Mais nous n'avons pas l'histoire au complet. Tandis que pour la mort de JFK, nous avons l'intégral du drame historique

Tout est là, dans le film tourné sur le vif par Abraham Zapruder: les policiers en motos précédant le convoi présidentiel, la rutilante limousine décapotée roulant lentement dans Elm Street, John Kennedy et son épouse Jackie, assis en arrière, éclairés par le soleil.

Puis soudain la tête du président se penche vers l'avant, il porte la main à sa poitrine, la première dame se tourne vers lui, c'est alors que la tête de JFK éclate, Jackie grimpe sur le coffre pour rattraper un morceau du crâne, un garde du corps la repousse dans la voiture. La mort en direct qui ne cesse de jouer en boucle.

Le film de l'assassinat du président Abraham Lincoln n'existe pas. Nous n'avons pas les images de Brutus tuant César, ni de Socrate buvant la cigüe, ni de Jésus mourant en croix. Pour tout ça, il nous faut croire l'Histoire ou la Bible.

Mais pour l'assassinat de John Kennedy, l'humanité ouvre un nouveau dossier. Un dossier avec preuve documentée. En inventant le cinéma, les frères Lumière ont changé à jamais la mémoire collective. Les enfants des enfants de nos enfants n'apprendront pas par coeur les faits de notre époque, ils les verront. Ils en seront aussi les témoins.

La mort de JFK, l'Homme sur la lune, la chute du mur de Berlin, le 11 septembre, tout est numérisé. Tout est accessible en un clic. L'Histoire n'est plus un roman, l'Histoire est un envoi sur YouTube.

Nous avons été bombardés, cette semaine, de documentaires soulignant le 50e anniversaire de la tragédie de Dallas. C'est comme si nous avions tous sautés dans la DeLorean de Marty McFly et remontés jusqu'au 22 novembre 1963, tellement on avait l'impression d'être replongé à l'époque. Toutes les archives étaient disponibles pour nous faire vivre l'instant.

Revoir Kennedy, c'est revoir la personnification du rêve américain. Il est tellement beau qu'on y croit. Encore. Et le voir être la cible des balles, c'est voir ce rêve se briser, éclater dans la rue.

Hitler, De Gaulle, Churchill furent les premières vedettes politiques de l'ère de l'audio, du son, de la radio. Kennedy fut la première vedette politique de l'ère de la vidéo, de l'image, de la télé. Dans 1000 ans, il restera toujours le premier président que l'on peut revoir vivre et mourir. Prononcer des discours, jouer au touch football, embrasser son épouse et être atteint par des balles.

Ce qui est ironique, c'est que Kennedy a beau être la première figure historique pour laquelle nous possédons le film de son assassinat, séquence par séquence, on ne sait toujours pas qui l'a tué.

La version officielle désigne un tireur solitaire, Lee Harvey Oswald, un paumé dérangé voulant sortir de l'anonymat. Mais il y aussi de nombreuses autres théories accusant soit la mafia, soit le chef du FBI, soit Castro ou même le vice-président de l'époque, Lyndon B. Johnson, devenu président par la force du destin.

Les experts ont étudié le film de Zapruder, un vingt-quatrième de seconde à la fois, sans s'entendre.

Certains concluent à la présence de tireurs multiples, d'autre pas. Une caméra peut saisir une scène, elle ne peut pas saisir la vérité. La vérité est insaisissable, et c'est pour ça qu'on a tellement de misère à la trouver.

On aurait pu croire que 50 ans plus tard, avec le recul du temps, le meurtre de JFK ne serait plus un mystère. Il en est toujours un. Et pour bien des raisons. Car pour moi, la plus angoissante question que fait surgir ce douloureux souvenir, ce n'est pas qui l'a tué, c'est pourquoi la mort? L'ultime questionnement. Pourquoi la mort l'attendait-elle là, à ce moment-là?

L'histoire de Kennedy fascine, pas seulement parce que ce fut un président populaire, pas seulement à cause de son impact sur la société américaine et le monde moderne, mais surtout parce qu'elle raconte un rendez-vous avec la mort.

Comme les pièces de Shakespeare. On s'identifie au héros. Kennedy débarquant de l'avion, le 22 novembre, tout souriant, ne se doutant de rien. Défilant dans la rue, avec sa belle femme, comme un triomphateur. Puis, au coin d'une rue, BANG! C'est fini.

On appelle ça, la fatalité. Aucune famille ne l'a autant incarnée que la famille Kennedy.

La fatalité, un joli mot pour désigner ce que l'on ne comprend pas. Ce coin de rue, on sait qu'il nous attend tous, un jour. Avec plus ou moins de violence, le résultat sera le même. La fin. Il ne restera de nous que des photos et les films tournés avec notre iPhone.

L'assassinat de Kennedy, c'est l'histoire de la fin. En couleurs. C'est pour ça qu'on commémorera le 60e, et le 75e, et le 100e avec autant d'émois que le 50e. Parce que ces images du passé sont les images de notre avenir.