Alors? De quel bord êtes-vous? Vous n'avez pas le choix, il faut être d'un bord ou l'autre. Et il faut l'être de façon agressive. On ne fait pas de quartier. Crois ou meurs. C'est la troisième grande division du Québec. Le troisième gros schisme. Après le OUI et le NON, le Canadien et les Nordiques, c'est les pro-Charte et les anti-Charte. Choisis ton camp, et vite!

Aussitôt que le PQ a présenté sa charte des valeurs québécoises, l'opinion médiatique s'est déchaînée. Il faut dire qu'elle était prête. Ça faisait déjà un mois qu'elle chialait par anticipation. Le ministre Drainville a reçu une avalanche de critiques, heureusement pour lui, en bon saint-bernard, il semble tenir le coup.

Le festival de l'entre-déchirement a commencé. Première victime: Maria Mourani, expulsée du caucus du Bloc québécois parce qu'elle s'opposait à la Charte. So what? On ne peut pas être souverainiste et contre le fait que la préposée au "bureau des licences" doive enlever son foulard? Ç'a pas rapport. Mais les souverainistes sont les champions de l'entre-déchirement. Ils ont le piton du siège éjectable sensible. Que ce soit pour un projet d'aréna ou de valeurs, toutes les raisons sont bonnes pour s'expulser les uns les autres.

Au Québec, les allégeances ont un effet domino. Si t'es pour le OUI, t'es pour les Nordiques et t'es pour la Charte. Si t'es pour le NON, t'es pour le Canadien et t'es contre la Charte. Ce n'est d'aucune logique, mais c'est comme ça.

Que voulez-vous, le Québécois n'est pas logique. Ça ne fait pas partie de nos valeurs. C'est Yvon Deschamps qui l'a dit, le Québécois veut un Québec indépendant dans un Canada Uni. Maintenant, le Québécois veut un État laïque avec un crucifix dans l'Assemblée nationale. Nous vivons en Absurdie.

On prend toujours le chemin le plus difficile, le plus impossible. La croix et la bannière. Dans ce cas-ci: la croix et la bannière de la laïcité. On veut les deux. On veut toujours les deux. Lévesque et Trudeau. Le beurre et l'argent du beurre.

En ce moment, si on se fie aux médias sociaux et asociaux, c'est la guerre civile au Québec. Les pro-Charte et les anti-Charte sont tellement radicaux dans leurs propos que l'on croirait leurs positions à des océans, les unes des autres. Pourtant ce n'est pas le cas. Pas du tout.

Prenez le chef du Parti libéral, Philippe Couillard, celui qui pourfend le plus le projet péquiste, il est d'accord avec tous les points de la Charte, sauf un. Il est d'accord pour que les services de l'État soient donnés et reçus à visage découvert. Il est d'accord pour que les accommodements raisonnables respectent le principe de l'égalité homme-femme. Il est d'accord pour que la neutralité de l'État soit ajoutée à la Charte québécoise des droits et libertés. Il est même d'accord pour que le crucifix soit conservé dans l'Assemblée nationale de l'État laïque. Son seul point de divergence: il est contre l'interdiction des signes religieux ostentatoires dans la fonction publique. Quatre points d'entente sur cinq, c'est pas mal. Le verre est à 80% plein, pourtant on le voit vide. Pourtant, on décrit la situation, de part et d'autre, comme si le clan opposé était composé d'extrémistes.

Quand les extrémistes sont à 20% de vouloir la même chose que toi, ce ne sont plus des extrémistes, ce sont des proches.

Il faut respirer par le nez. Il n'y a pas de quoi en faire une crise de société. Il y a seulement un aspect de la patente qui nous divise. Soyons zen. On va arrêter de se crier des bêtises et apprendre à se parler. Des deux côtés. Quand Couillard a émis l'hypothèse d'adopter une charte comprenant tous les points avec lesquels il était en accord, Drainville l'a viré comme une crêpe. Voyons! Si provoquer un débat, c'est vouloir entendre seulement les gens qui pensent exactement comme nous, l'exercice est inutile.

Personnellement, si j'avais des directives à donner à la fonction publique, celle en tête de ma liste, ne serait pas d'interdire les signes religieux, ce serait plutôt d'interdire les signes déplaisants; comme l'air bête ou le je-m'en-foutisme. Ça me dérange plus qu'un gros scapulaire dans le cou.

La liberté de s'habiller comme on le veut est un droit fondamental. Que tu veuilles afficher Dieu ou Nike, ça te regarde. La grande question est de savoir si un employé de l'État doit durant ses heures de travail représenter, dans sa tenue, la neutralité de son employeur. Ça se défend très bien pour les personnes en autorité. Un arbitre ne pouvant porter le chandail du Canadien. Ça se défend moins bien pour tous les autres. Disons qu'il y a matière à discussion.

Surtout que la clause de l'interdiction des signes religieux ostentatoires dans la fonction publique est, à la base, sujette à interprétation. Ça soulève plein d'interrogations. Si Francine Grimaldi travaillait à Télé-Québec au lieu de Radio-Canada, devrait-elle enlever son turban? Qu'est-ce qu'on fait avec les tatouages? Un Zombie Boy avec une croix tatouée dans le front peut-il être fonctionnaire? Un fonctionnaire circoncis baissant son pantalon dans un party de bureau contrevient-il à la Charte? Doit-on mesurer son zizi pour savoir s'il est ostentatoire?

Une chose est sûre, s'il y a une valeur fondamentale dont on peut être fier au Québec, c'est la paix. Il faut, peu importe de quel côté on est, faire en sorte de ne jamais la perdre. Et il n'y a qu'une façon de la conserver, c'est en se respectant mutuellement.

Les Québécois ne veulent qu'une chose: être pareils mais différents.

C'est pourtant simple...

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