Je pense à ma chronique... Ça va peut-être vous surprendre, mais avant d'écrire une chronique, il faut d'abord penser. Parfois le flash nous arrive en quelques secondes, parfois ça prend des heures.

Affiché sur mon écran d'ordinateur, il y a un document Word tout blanc devant moi, et j'ai les yeux dans le beurre. La Corée du Nord... Michael Ryder... Les paradis fiscaux... La grippe aviaire...

Peut-être, peut-être... Je regarde par la fenêtre. Et je vois neiger. J'ai déjà vu neiger, mais là, ça me surprend comme si c'était la première fois, tellement ça n'a pas rapport.

Je me sens comme la femme du docteur Bellows. La femme du docteur Bellows était la voisine de Jinny. Dans un épisode, Jinny avait provoqué une chute de neige au-dessus de sa maison, en juillet, à Cocoa Beach, en Floride. La femme du psychiatre de la NASA n'en est toujours pas revenue, malgré toutes les reprises.

Nous sommes le 5 avril et il neige à ma fenêtre. Ce n'est même pas un poisson d'avril.

L'étonnement laisse place à la lassitude. Presque au découragement. Tout est une question de timing. Si nous étions au début du mois de novembre et que j'avais vu ces gros flocons, comme des perles blanches, tomber du collier brisé de mère Nature, ça m'aurait fait sourire. J'aurais filé poète. La première neige a quelque chose d'émouvant.

La dernière neige a quelque chose d'exaspérant. En espérant que ce soit la dernière.

Tout est une question de réceptivité. En soi, c'est beau, la neige. C'est un effet spécial digne de Moment Factory. Des millions de gouttes blanches venues du ciel. C'est wow! Mais en avril, c'est poche. On l'a assez vue. On envie d'un autre effet. Comme un gros soleil jaune entouré de bleu.

Les Québécois ont tellement hâte qu'il fasse beau qu'on a des mirages. Samedi dernier, la météo disait qu'il faisait 12 Celsius. Je suis donc sorti du studio, durant une pause, prendre l'air. Il ventait à écorner les boeufs. On était d'ailleurs trois boeufs à jaser dehors, en se faisant croire qu'il faisait chaud. S'il faisait 12, c'était moins 12. On grelottait de partout. Devenus bleus, on a fini par admettre que ce n'était pas encore le printemps, que c'était toujours l'hiver. On est retournés à l'intérieur se réchauffer.

Avril est le fade out de l'hiver, un fondu au noir, comme on dit en français. Le mauvais temps disparaît lentement. C'est le mois de la déprime. En décembre, en janvier, au plus fort de l'hiver, les gens ne dépriment pas, ils sont trop occupés à pelleter.

Mais en avril, il n'y a plus rien à faire, à part choisir le bon manteau. Kanuk ou camisole? On ne sait plus. Regardez les gens marcher en ville, on dirait qu'ils ne font pas partie du même film. Il y a un monsieur en habit de motoneige qui se fait doubler par une demoiselle en hot pants. Tout le monde la regarde. Elle exagère! Pourtant, c'est sûrement grâce à ces pressés qui osent se dénuder que le soleil finit par se pointer. Le soleil n'aime pas les endroits où les gens sont trop habillés. Le soleil aime la plage. Le soleil est party.

Avril va finir par passer. Et on va l'oublier aussi rapidement qu'il passe lentement. Qui a des souvenirs d'avril? On a des souvenirs de Noël de décembre, de vacances de juillet, de rentrées de septembre, de révolutions d'octobre ou de mai, de Saint-Jean de juin, de skis de janvier, de morts de novembre, de canicules d'août, de Saint-Valentin de février, de folies de mars. .. Mais avril? Avril? Rien à dire.

Il ne neige plus à ma fenêtre. C'est juste gris. Pas 50 nuances de gris. Juste une. Le gris gris.

Il faudrait bien que je commence ma chronique. Alors la Corée du Nord...

Pourquoi ne sommes-nous pas terrifiés à l'idée qu'un despote puisse déclencher une guerre nucléaire? Pourquoi personne ne s'inquiète? Parce que la Corée du Nord n'a pas l'air vraie. On dirait le repère d'un méchant dans James Bond. On est certain que 007 va finir par gagner.

La Corée du Nord faisait peur en 2001. Douze ans plus tard, la menace est usée. C'est comme la neige d'avril, elle nous lasse. Pierrot a trop souvent crié au loup. Plus personne n'accourt quand il le fait. J'espère que le loup n'est pas là pour vrai.

Et qu'avril continuera de rimer avec tranquille. Des flocons qui tombent du ciel, peu importe le mois, ce sera toujours plus beau que des missiles.