Dimanche, le débat entre les quatre chefs vient de se terminer à Radio-Canada. Je suis triste. Pas triste comme lorsqu'il vient de nous arriver quelque chose de grave. Triste comme lorsqu'il ne nous arrive rien. Comme lorsqu'il nous manque quelque chose ou quelqu'un.

Nos politiciens ont discuté durant 90 minutes, il n'a été question du printemps érable que durant quelques secondes. Pourtant, n'est-ce pas à cause de lui que nous avons des élections? Toutes ces remises en question, toutes ces propositions qui avaient fleuri pour la première fois depuis trop longtemps ne peuvent pas être déjà fanées. C'est encore l'été. Il aurait fallu au moins qu'il en reste un bouquet, quelque part, dans ce grand studio noir.

Il y avait bien Françoise David qui portait son carré rouge, mais c'est comme si les autres ne le voyaient pas ou ne voulaient pas le voir. C'est comme si le mouvement étudiant n'avait fait naître en eux aucune réflexion, aucun début de solution.

La révolte s'est calmée, on va tenir ça mort.

Pourquoi faut-il toujours que la rue soit en feu pour qu'on daigne s'en occuper?

Pour me consoler, je me suis dit qu'ils avaient dû manquer de temps. Ils devaient croire que le débat allait durer deux heures et ils gardaient le meilleur pour la fin. Ils allaient sûrement se reprendre durant les face à face à TVA. Parler d'éducation, d'égalité et de partage.

Pas pantoute. Lors des face à face, ils ont parlé du vieux rapport Moisan, du Costco, du Provigo, de l'épée de Démoclès, du statu quo, des caribous et de monsieur Pruneau. Mais pas des carrés rouges. Ou à peine.

On a rêvé. C'est ça, on doit avoir rêvé. Pas éveillé, comme on le croyait. Mais bien endormi. Il ne s'est rien passé à Montréal, au printemps. La casse, ça doit être parce que le Canadien n'a pas fait les séries. On a rêvé, comme la femme de Bobby dans Dallas. On se réveille en pleine campagne électorale, et tout est effacé.

Ça doit faire plaisir à tous ceux qui n'y croyaient pas. À tous qui ne voyaient là qu'une crisette d'enfants gâtés.

Après tout, tout est rentré dans l'ordre. Même le cégep du Vieux Montréal a voté pour la reprise des classes. Les manifestations sont redevenues heureuses et pacifiques. Les casseurs sont en burnout. Les étudiants étudissent. Les professeurs professent. Tout va bien.

Tant mieux. C'était certain que, tôt ou tard, les élèvent allaient retourner en classe. Ils ont une vie devant eux. Ils doivent en faire quelque chose. À part ceux qui se destinent à devenir animateurs de rue, les autres ne pouvaient pas terminer leur apprentissage en restant sur l'asphalte.

Mais il ne faut pas s'illusionner, cette paix sociale retrouvée reste précaire.

Pour éviter d'autres turbulences, il faudrait avoir compris le message.

Au lieu d'ignorer, il faudrait réagir. Être proactif.

En commençant par être capable d'en parler. Ce qui ne semble pas être le cas pour les trois chefs qui ont le plus de chances de se retrouver au pouvoir le 4 septembre.

Pourtant, le carré rouge n'était pas un carré vide. Le soulèvement populaire n'était pas qu'une montée de lait. Tout ça n'était pas une erreur de jeunesse.

C'est plus profond que ça.

Les graines qu'on sème au printemps, on les récolte à la fin de l'été. Les graines semées lors du printemps érable ont besoin de plus de temps. De plus qu'une saison. Mais elles poussent quand même. Lentement, sûrement. Le vrai changement, le grand changement, n'arrive pas instantanément.

Le printemps de Prague, en 1968, n'a récolté ses fruits qu'à l'automne 1989, avec la chute du mur de Berlin. Pendant 20 ans, le printemps de Prague fut une défaite. Avant de devenir l'une des plus belles victoires du dernier siècle.

Bien sûr, je ne compare pas le printemps de Montréal à celui de Prague. Bien sûr, le Parti libéral du Québec n'est pas l'URSS. Tellement pas! Heureusement! Bien sûr, le contexte est différent. Notre liberté est beaucoup plus grande, notre vie beaucoup plus belle. Mais il y a quand même des choses à changer. Il y a quand même une folie à arrêter. Un monde meilleur à créer.

Ce n'était pas seulement une affaire de piastres, le conflit étudiant, c'était surtout une affaire de coeur. Rouge comme le carré.

Malgré le silence de la plupart de nos politiciens, il y a quand même un signe que les fenêtres s'ouvrent et les esprits aussi. Qui a été la grande gagnante de cette semaine de débats? Celle qui a fait l'unanimité des gens, des commentateurs et même des chefs? Françoise David.

C'est parce que nous étions prêts à recevoir son discours. À apprécier son sourire, son engagement, sa sincérité. C'est parce qu'on commence à comprendre qu'il n'y a pas que la bourse qui compte. Il y a aussi la vie.

Ce qu'il reste du printemps, c'est ça: une écoute qu'il n'y avait pas avant.

Ça fait des années que Françoise David parle. Dimanche dernier, nous l'avons enfin écoutée.

Bien sûr, tout le monde ne votera pas pour Québec solidaire, au contraire.

Mais le Québec commence à apprécier la solidarité. C'est le premier pas pour le devenir.

Le second, ce serait d'en parler, à notre tour. Puis de la faire.

Ça viendra...