C'est demain le Super Bowl de la politique française: l'élection du prochain président. Ça m'excite autant que le grand championnat du football américain. Bien sûr, le menu n'est pas le même. On ne s'installe pas devant TV5 avec des ailes de poulet, des côtes levées et de la Bud, mais avec des ailes de caille, du caviar et du champagne.

Ça débute à 13h. Ça promet. Parce que personne ne maîtrise l'art de la politique comme les Français. Ils sont les génies de l'engueulade idéologique, les ceintures noires de la prise de bec philosophique.

Quand un Français se dispute avec un autre Français, ce n'est pas une vulgaire querelle, c'est une guerre, la guerre des mots. Ils se pourfendent à grands coups de répliques assassines qui réduiraient au silence les plus brillants tribuns des autres nations. Mais un Français ne laisse jamais le dernier mot à son rival. Alors quand deux Français s'affrontent, il n'y a pas de dernier mot. Ils parlent et parlent et parlent encore. Jusqu'à la mort.

Le débat de cette semaine entre le socialiste François Hollande et le bling-blinguiste Nicholas Sarkozy a été du bonbon. On a pu mesurer tout le talent de mise en scène de nos cousins.

Les deux hommes s'affrontaient dans un studio vaste et lumineux. Face à face. Rien à voir avec le pénible débat des chefs de la campagne électorale fédérale canadienne de l'année dernière. Vous vous souvenez de ce décor de sous-sol des années 70, jaune et gris? Les quatre leaders debout derrière des lutrins de chevaliers de Colomb, placés en rang d'oignons, qui trébuchaient sur les mots une phrase sur deux... Pas étonnant que l'allocution la plus mémorable de ce grand moment de télévision ait été celle de la chômeuse Muguette Paillé.

À Paris, point de Muguette pour remplir les trous. Hollande et Sarko n'ont pas assez de deux heures pour exprimer leur pensée. À côté de leur verve, tous nos politiciens semblent s'exprimer comme Stéphane Ouellette.

Sarkozy a d'abord dit, de sa belle voix suave, qu'il fallait que ce débat ne soit pas une série d'attaques personnelles. Que son opposant et lui devaient élever leurs propos et être dignes du peuple français. Puis il s'est mis à traîner Hollande dans la boue, sans jamais salir son complet foncé ajusté.

La lutte intellectuelle a été féroce.

Sarko à Hollande: «Vous dites que vous allez créer une banque publique de l'industrie. Voilà une promesse que vous n'aurez pas de mal à tenir puisque je l'ai déjà fait.» Et vlan! dans les couilles!

Hollande n'est pas le plus habile des deux dans l'humiliation verbale, mais il encaisse bien. Il ne se démonte jamais.

Sarko sait qu'il doit viser le K.-O., sinon Carla et lui devront appeler le Clan Panneton parisien dès lundi. Alors, il continue d'envoyer des directs à son adversaire:

«Savez-vous pour combien pèse l'énergie fossile dans les 70 milliards de déficit? Le savez-vous, au moins?

- Oui, oui, je le sais.»

Comme tous les Français, Hollande sait tout. Sauf qu'il ne le dit pas. Le petit Nicolas saute sur l'occasion: «Si vous le savez, dites-le-moi!»

Et Sarko enchaîne, l'oeil malin: «C'est 63 milliards!» Et toc, dans les dents. Mais Hollande sourit quand même: «Je savais, je savais.»

Sarkozy n'a pas encore vidé son sac de baffes. Il lance une formule, particulièrement réussie: «Vous voulez moins de riches; moi, je veux moins de pauvres.»

Hollande n'a pas le sens de la formule comme son vis-à-vis. Mais il pourfend élégamment le bilan de la droite.

Qui a gagné? Bien, les deux. Un Français ne perd jamais une discussion.

Ce débat, comme tous les échanges entre politiques français, était une séance de crêpage de chignon chic. Du crêpage de chignon de ballerines.

Demain, ça va être Noël pour les maniaques de la parole! Dans quelle prose les gagnants enroberont-ils leurs prétentions, et avec quelle poésie les perdants lâcheront-ils leur fiel? Sans oublier les animateurs cyniques et les reporters en scooter qui poursuivent les limousines des présidents entrant et sortant, dans l'espoir de recueillir leur dernier mot avant l'accident.

Jouissif.

Paroles, paroles, paroles, bonbons et chocolats...

Demain, on prend une cuite de mots!

Prière d'attendre un bon mois avant de regarder les débats de l'Assemblée nationale: le choc risque de provoquer une dépression.

Que voulez-vous, la phrase la plus célèbre de la politique québécoise, c'est un Français en képi qui l'a dite.

Quand on est né pour une petite baguette...