Ça fait longtemps que je ne vous ai pas écrit à propos de notre chat Bécaud. L'une des dernières fois, c'était dramatique. Bécaud s'était fait heurter par une voiture, en traversant la rue qui sépare le parc de la maison. La mort ne l'a pas frôlé, la mort lui est entrée dedans à 50 km/h.

Heureusement, un chat, ça rebondit.

Après une convalescence de deux mois, passée dans une cage avec autour du cou un collier victorien, Bécaud a repris du poil de la bête. Tant et si bien qu'il a pu recommencer à faire ce qu'un chat fait dans la vie: c'est-à-dire rien.

Mais rien à plein d'endroits. Rien, le matin, dans notre lit. Puis il se déplace pour aller faire rien dans le sous-sol. Puis il mange pour prendre des forces pour aller faire rien sur le bord de la fenêtre. Un chat, c'est comme Scott Gomez, ça n'a pas beaucoup de buts: manger, boire et dormir.

Après l'accident, il n'était plus question que Bécaud gambade dehors de nouveau. On avait trop eu peur de le perdre. Déjà que de nombreux lecteurs me reprochaient d'avoir laissé un petit minou affronter les rues de Montréal, le dangereux.

Mais Bécaud voyait son destin autrement. Le printemps arrivé, il voulait aller manifester à l'extérieur. Il a profité d'une porte ouverte juste un petit peu trop longtemps pour se faufiler. Et bonjour, liberté!

Bien sûr, il est revenu. Manger étant tout de même sa priorité.

Après ces retrouvailles avec le quartier, il aurait été trop cruel de continuer à le confiner dans les murs de notre foyer. Ma blonde et moi avons donc décidé de le laisser vivre sa vie de matou.

Voilà donc trois ans que Bécaud patrouille dans les environs à sa guise. Bien sûr, on a peur que le pire lui arrive. Mais une chose nous rassure, ce chat a appris.

Avant son 11-Septembre personnel, Bécaud traversait la rue comme Hal Gill traverse une glace. En prenant son temps. En trébuchant un peu. En se roulant même, les jours de canicule.

Pour Bécaud, la rue, c'était comme la cuisine, notre chambre, le sofa ou la terrasse, c'était à lui. La rue lui appartenait, comme tout le reste. Après tout, il fait pipi partout.

Maintenant, Bécaud sait que la rue appartient aux monstres. Qu'il y a d'énormes bêtes en métal qui peuvent arriver de tous les coins. Alors, il se fie à son ouïe. Et quand le murmure des moteurs se fait lointain, il traverse la rue à toute vitesse, tel Usain Bolt s'approchant du finish. (Je sais qu'il y a beaucoup de références sportives, mais je pense à mon public masculin qui doit se taper une chronique sur mon chat.)

Bien sûr, il y a encore des risques que Bécaud soit victime, à nouveau, de la jungle urbaine. Mais moins qu'avant. Parce qu'un chat se souvient. Chat échaudé craint l'eau chaude. Il craint peut-être l'eau froide aussi, mais il craint surtout l'eau chaude.

Et chat heurté par un char craint les chars.

Un chat a peut-être juste un petit neurone entre ses oreilles pointues, mais il sert à une chose: survivre. Avant son accident, survivre, pour Bécaud, c'était manger. Maintenant, survivre, c'est manger et faire attention aux chars.

Des fois, je me demande si l'humain n'a pas trop de neurones. Il ne se concentre jamais sur son instinct de survie. Au contraire, il pense trop à comment se compliquer la vie.

Tous ces problèmes qui reviennent cycliquement: guerres, famines, pauvreté, élimination des séries (bonjour, les gars!). Un traumatisme ne nous traumatise que le temps qu'il est en ondes sur un réseau de nouvelles en continu. Quand CNN ou RDI passent à autre chose, on zappe, nous aussi.

On n'a jamais assez peur pour que cette peur s'incruste en nous et nous pousse à changer nos comportements.

On pensait que le 11-Septembre changerait le monde. Rien n'a changé.

Pas plus que tous les accidents qu'on voit aux infos ne changent notre conduite automobile.

Pas plus que tous les drames dans les journaux ne changent nos comportements.

Bien sûr, Bécaud n'a pas appris des autres chats qui se sont fait botter, il a fallu qu'il se fasse botter lui-même.

Mais à quoi sert notre si gros cerveau s'il ne parvient pas à apprendre de ce qui survient autour de nous?

Les nouvelles, les films, les pièces de théâtre servent à ça, à nous faire ressentir la vie des autres, comme si c'était la nôtre.

Il faudrait en retirer quelque chose qui dure plus longtemps qu'un DVD.

Apprenons les uns des autres.

On n'apprend pas seulement à l'école.

On apprend dans la rue aussi.

Demandez à Bécaud.

Mais ça, c'est une autre chronique...

Pour joindre notre chroniqueur: stephane@stephanelaporte.com