Plus capable d'entendre parler de Thanksgiving! Depuis mercredi, on nous casse les oreilles avec Thanksgiving. C'est quoi l'idée? C'est pas Thanksgiving pour nous. C'est Thanksgiving pour les Américains. Pourquoi en faire tout un plat? On n'a pas de dinde dans notre plat, nous, en fin de semaine. Notre dinde, c'est à Noël. Pas avant. En attendant, on vit notre ordinaire en mangeant notre St-Hubert.

Pourtant, selon la boîte d'analyse Influence Communication, le sujet dont on parle le plus en ce moment, au Canada, c'est Thanksgiving. Franchement! Ayons une vie! Guettons a life! On a l'air d'une famille de perdants, le nez collé à la fenêtre, qui regardent le party chez le voisin.

As-tu vu toutes les autos stationnées devant chez eux!? Aïe, c'est des beaux chars! Les dames sont bien habillées. Wow! Y'ont des gros cadeaux.»

Le Canada est à l'image de monsieur Ropper dans Three's Company. On espionne le fun que Jack a avec Janet et Chrissy.

Avant, on apprenait par hasard que c'était Thanksgiving aux États-Unis. On allumait la télé et on se disait: «Tiens, c'est bizarre, il y a du football, un jeudi.» Et là, un de nos amis cultivés, comme Paul Houde, nous apprenait que c'était jour férié chez l'Oncle Sam. Maintenant, on en parle autant qu'eux. Sauf que nous, on a juste le mauvais côté. On entend leur grosse musique hip-hop jouer à tue-tête, mais on ne danse pas. On travaille. On n'a pas congé. On est juste le voisin du party. On n'est pas invités. Mais on est tellement têteux, qu'on fait comme si on en faisait partie.

Il y a des magasins à Montréal, hier, qui ont offert des rabais du Black Friday. Le Black Friday est la plus grosse journée de consommation aux États. Les gens se ruent dans les magasins pour profiter des soldes. C'est l'équivalent de notre Boxing Day. Pourquoi reproduire ça ici? On peut pas se ruer, on est à l'ouvrage. Ce n'est pas un vendredi noir pour nous, c'est un vendredi gris. Comme tous les vendredis.

La LNH a décidé de faire jouer le Canadien de Montréal à Philadelphie, à 15 h, hier. La LNH s'en fout si les partisans du Canadien sont coincés sur le pont à 15 h, le vendredi. Pour la LNH, c'est Thanksgiving pour tout le monde. Que les Frogs prennent congé s'ils ne veulent pas manquer un match de leur équipe préférée à la télé.

C'est peut-être ça qu'on devrait faire. Tant qu'à être perturbés par la fête de nos voisins, fêtons nous aussi! Ajustons notre Action de grâce à celle des Américains. C'est sûr que ça va déranger les plans de bien des Québécois. Parce que, qu'est-ce que fait le Québécois lors de son congé de l'Action de grâce? Il va à New York! C'est tellement beau, New York l'automne. Si on déplace notre Action de grâce au dernier jeudi de novembre, on ne pourra plus aller à New York, parce qu'il n'y a plus de place à New York, le week-end de Thanksgiving. Tous les Américains vont à New York! C'est pas Occupy Wall Street, c'est Occupy toutes les streets! Va donc falloir rester chez nous. Alors qu'est-ce qu'on va faire? On ne va pas aller voir nos familles, on va les voir dans un mois. On n'aura plus rien à leur dire.

Vous me direz: c'est pourtant ce que font les Américains. Pas vraiment. Les Américains ont un autre programme que nous. À Thanksgiving, ils vont chez la belle-mère. Peu importe qu'elle habite au Tennessee ou en Alaska, ils y vont. Le week-end de Thanksgiving est le week-end où les Américains se déplacent le plus de toute l'année. Sont brillants, les Yankees, ils règlent le cas de la belle-mère avant les Fêtes. Belle-mère et dinde, coché! À Noël, ils restent chez eux et vont à la messe. Et, au jour de l'An, ils vont à la discothèque. Bref, Thanksgiving leur permet de se débarrasser du bout plate pour pouvoir profiter du congé de Noël à plein.

Nous, les Québécois qu'est-ce qu'on fait? La veille de Noël, on va chez la belle-mère. À Noël, on va chez la belle-mère. La veille du jour de l'An, on va chez la belle-mère. Le jour de l'An, on va chez la belle-mère. Si on ajoute Thanksgiving, on va aller chez la belle-mère cinq fois en trente jours, ça commence à faire!

On va donc continuer à travailler, fin novembre, pis à mémérersur l'Action de grâce américaine. Car la véritable raison pour laquelle on en parle autant, c'est parce qu'on est jaloux. C'est vrai, les Américains ont toujours l'air d'être plus heureux que nous. Ils ont tellement l'air d'avoir du fun à Thanksgiving, ça nous fait suer. C'est comme les films américains pour ados qui se passent sur les campus, ç'a tellement l'air extraordinaire d'aller dans un collège américain. Un vrai Club Med! Les filles ressemblent toutes à Beyoncé, les gars sont tous des joueurs de football, ça rit, ça fait l'amour, et ça devient millionnaire. Après avoir vu ça, tu arrives le lundi matin au cégep Édouard-Montpetit, tu déprimes.

Il faudrait arrêter de vivre par procuration. Arrêter de souligner Thanksgiving, même si on ne la fête pas. Se trouver une identité avant de devenir les clones du voisin.

Dans les années 70, un député de l'Union nationale avait proposé que le Québec devienne le 51e État des États-Unis. J'ai bien peur que son rêve se réalise avant celui de Lévesque. Pas géographiquement, bien sûr. Mais dans l'endroit le plus névralgique à envahir: notre tête. Notre langue. Pas sûr qu'on va être plus heureux.

Happy Thanksgiving, everyone!