C'est mon plus vieux souvenir. J'ai 2 ans, peut-être 3, sûrement pas plus, parce que je mange encore dans ma chaise haute. J'ai terminé mon petit-déjeuner. La porte sonne. Ma mère me dit d'attendre, qu'elle va m'aider à descendre dans un instant. Elle court répondre au facteur. Je n'attends pas. Je descends de ma chaise, tout seul. Je perds pied et me fracasse la tête sur le calorifère. Ma mère revient dans la cuisine en criant. Au sol, il y a une mare de sang.

Je ne sais pas si c'est ma mère qui s'est trompée de numéro de téléphone, mais ce n'est pas l'ambulance qui est venue me chercher, c'est la police. Un tour d'auto de police, sirène hurlant, comme dans Batman! Cool. À l'hôpital, ils m'ont fait des points. De retour à la maison, je ne devais pas dormir durant 24 heures, question de surveiller mes signes vitaux. Pour me tenir éveillé, mes parents m'ont donné le G.I. Joe que je voulais tant.

Ce fut la première d'une longue série de commotions cérébrales. De la vie de joueur de hockey dont je rêvais, c'est le seul aspect que je partage avec mes héros. Marchant sur la pointe des pieds et ayant un équilibre très précaire, j'ai fait de nombreuses chutes. Et le plus souvent, c'est ma tête qui absorbait le choc.

En tombant de mon tricycle, en jouant au ballon chasseur, en glissant sur un plancher frais lavé de toilettes publiques, en allant rencontrer Vanessa Paradis. Oui, vous avez bien lu, en allant rencontrer Vanessa Paradis.

C'était en novembre 1992, l'équipe de L'enfer, c'est nous autres était en France pour faire une entrevue avec la jolie chanteuse et actrice. Avant de partir pour son hôtel, en me rendant au camion du caméraman, je suis tombé comme une tour dans le garage des bureaux de Radio-Canada à Paris. Boum. J'ai quand même réalisé l'entrevue.

Je voyais à peine Vanessa et Julie, tellement il y avait d'étoiles et de lignes blanches dans mon cerveau. Je ne voyais tellement rien que je me suis assis sur les fleurs, puis sur le chandail de la star. Ça l'a fait rire. Elle m'a pris pour une sorte de Pierre Richard. Elle m'a même passé la main dans les cheveux pour tâter la bosse que je m'étais faite.

G.I. Joe et la main de Vanessa Paradis, il y a quand même des avantages à se péter la tête!

Malgré tout, ça ne vaut pas le coup.

Quand on se cogne le doigt, on a mal au doigt. Quand on se cogne le genou, on a mal au genou. Quand on se cogne la tête, tout devient diffus, confus. Le centre de la douleur étant atteint, on n'est même pas capable d'avoir mal, on ressent quelque chose d'encore plus intense. Quelque chose qui va au-delà du mal. On ressent le néant. C'est effrayant. Comme si on perdait la connaissance du monde et de nous-même pendant un court instant, puis elle nous revient lentement, tout lentement, de si loin.

Ce n'est pas une partie de notre corps qui est atteinte, c'est nous, notre être, ce qui fait que l'on est qui l'on est. Une commotion cérébrale, c'est une blessure à l'ADN. C'est une blessure à l'âme.

J'ai été très chanceux. J'ai une tête dure. Vraiment dure. Les symptômes de toutes mes commotions n'ont jamais duré plus que quelques heures. Je n'ai pas de séquelles. Du moins, je le crois! Juste de la corne autour du coco.

Je ne peux imaginer l'enfer que vit Sidney Crosby. Souffrir du cerveau durant des mois, c'est un 11-Septembre personnel. Le cerveau, c'est le superhéros qui permet de surmonter tous nos autres maux. Quand c'est Superman lui-même qui est en péril, il n'y a personne pour venir le sauver. On n'a pas un cerveau externe pour réparer notre cerveau défectueux. Faut juste attendre que les secousses du tremblement de tête cessent.

Tout se passe là, dans la tête. Ce que l'on voit, ce que l'on sent, ce que l'on ressent, nos joies, nos peines, nos rêves, notre vie, elle est là-dedans. C'est ce qu'il y a de plus précieux au monde. Je ne peux pas croire qu'il y a des gens qui s'opposent aux mesures visant à protéger les joueurs de hockey des coups à la tête. C'est sûrement qu'ils n'en ont pas.

Quelle est cette morbide fascination de voir un homme se faire plaquer à la tête et perdre connaissance?

Don Cherry s'habille comme une Môman de La petite vie qui aurait changé de sexe, faudrait surtout pas le prendre au sérieux quand il traite les opposants aux coups à la tête de mauviettes. Les dinosaures du Madrid ont disparu, celui de la CBC devrait au moins se taire.

À la boxe, on interdit les coups en bas de la ceinture, mais on encourage allégrement les coups en haut du cou. Cela trahit un sens des valeurs assez désaxé. Quand la queue est plus importante que la tête. C'est le monde à l'envers.

Il est temps de le remettre à l'endroit. Sauvons la planète que chaque être humain a sur les épaules.

Que toutes les ligues de hockey interdisent les coups à la tête en toutes circonstances.

Go, Shanahan, go!