Ça brasse à Montréal. Et pas juste à cause des nids-de-poule. Le contrôleur général de la Ville Pierre Reid a espionné le vérificateur de la Ville Jacques Bergeron. Il a aussi espionné le président du conseil municipal, Claude Dauphin. Et ne s'arrêtant pas là, notre agent Sans secret a espionné rien de moins que l'ancien chef du Service de police, Yvan Delorme. De quoi inspirer Ian Fleming et John le Carré!

Quand on entend de telles révélations, tout de suite dans notre tête se met à jouer la musique de James Bond. Le 514 devient le 007. On voit Pierre Reid en smoking arpenter les corridors de l'hôtel de ville, séduire les belles secrétaires blondes pour avoir accès au bureau de ses victimes. Et là, suspendu dans les airs à la Tom Cruise dans Mission: impossible, il pénètre dans un monde cybernétique lui révélant le numéro du compte en Suisse contenant des milliards de dollars ou la combinaison d'une arme nucléaire visant à détruire le Plateau-Mont-Royal.

La réalité est tout autre. L'essentiel des activités d'espionnage de James Reid consistait à ouvrir les boîtes de courriel des gens placés sous haute surveillance. Bon, je le sais que ce n'est pas correct de lire les courriels de quelqu'un sans son consentement, mais avouez que dans un film, ça fait pic pic. À part apprendre qu'une veuve de la Côte d'Ivoire est prête à donner au président du Conseil et au vérificateur la moitié de sa fortune pourvu qu'ils lui révèlent leurs numéros de carte de crédit, l'espion n'a pas dû trouver grand-chose.

Ce n'est pas sur Hotmail qu'on échange les secrets d'État. Les risques sont trop grands.

Ce régime paranoïaque institué à la mairie de Montréal laisse croire que bien des histoires louches s'y trament. Quand on espionne le vérificateur, le président du conseil municipal et le chef de police, c'est que la confiance ne règne pas. Pourtant pendant qu'éclatent tous ces scandales, notre Kathleen de maire ne cesse de chanter: «Ça va bien!»

Chaque fois que les journalistes révèlent un autre chapitre de ces sordides affaires, le maire fait son surpris. Il ne le savait pas. Puis il finit par avouer qu'il le savait. Avant de se raviser en disant qu'il ne savait pas qu'il le savait même s'il le savait. Bref pour le maire Tremblay, y'a rien là. Et savez-vous quoi, je pense que c'est la même chose pour les Montréalais.

Ce Montréalgate a beau faire la une des journaux, les Montréalais s'en foutent pas mal. La politique municipale est pour les Montréalais la même chose que le Junior de Montréal: une ligue mineure.

Nommez-moi deux joueurs du Junior de Montréal. Leblanc? OK! Après ça? Gilbert Perreault? Non, il ne joue plus pour eux autres. Les Montréalais sont big time. Ils s'intéressent aux grosses affaires: le Canadien, le Cirque du Soleil, Céline Dion. En politique, parlez-nous d'Obama, de Harper, si vous voulez, à la limite de Charest, mais on ne va pas plus bas que ça.

Comment voulez-vous qu'on se scandalise à propos des révélations au sujet de Pierre Reid et de Claude Dauphin, on ne savait même pas qu'ils existaient. Un scandale est juteux quand il éclabousse des gens que l'on connaît aussi bien que Michèle Richard. Quand des inconnus lisent les courriels d'autres inconnus, on s'en tape. Bien sûr, ce sont des gens qui ont des fonctions importantes mais le moine ne fait pas l'habit. Pour ameuter la population, ça prend un habit de vedette.

Le Watergate ne visait rien de moins que le président des États-Unis. Le Bellemaregate visait le premier ministre du Québec. Vous me direz qu'en creusant un peu, le Montréalgate finira bien par sortir de son nid-de-poule le maire de Montréal. Oui pis?

Pendant la dernière campagne électorale, les médias ont sorti un scandale par jour sur son administration, on l'a élu quand même. Parce qu'on s'en fout. Le monde municipal nous ennuie profondément. Depuis que Drapeau est parti, ce sont tous des gentils messieurs qui se succèdent. Aucun n'a eu l'envergure de rallier ses citoyens autour de projets inspirants. Devant leur manque de vision, les citadins ont décidé de regarder ailleurs.

Ils peuvent tous s'espionner entre eux, ce qu'ils font n'intéresse qu'eux.

Bien sûr, le jour où tous les ponts seront tombés, les Montréalais devront finir par se rendre compte qu'ils vivent dans une île, et que cette île, s'ils ne s'en occupent pas, ils risquent de couler avec.

En chantant: «Ça va bien!»