J'estime, comme premier ministre, et aussi comme père de famille, que le vouvoiement devrait être de mise dans nos écoles. Cette particularité de notre langue française est en elle-même une marque distinctive de politesse et de respect. Cela devrait être le ton approprié entre un élève et son professeur.

As-tu entendu ça? Pardon, avez-vous entendu ça? C'est Jean Charest qui l'a dit lors de son discours inaugural. Au diable la corruption, le CHUM, le schiste et le pont Champlain, la priorité c'est le vouvoiement. Notre jeunesse va être pauvre, corrompue, malade, polluée et accidentée, mais au moins elle va être polie. C'est le grand retour du vous! Bonne chance!

Ç'a l'air de rien, mais de tous les objectifs de notre honorable premier ministre, c'est peut-être le plus difficile à réaliser. C'est pas évident. C'est parce qu'ils partent de loin, nos élèves. Les jeunes n'en sont même plus au tutoiement. Les jeunes en sont au aïement. Ils ne disent ni vous ni tu, à leur prof, ils disent aïe!

Comme dans Aïe, les nerfs! Aïe, pus capable! Aïe, pas rapport!

Pour tutoyer ou pour vouvoyer, il faut avant tout qu'il y ait un verbe. Les jeunes n'utilisent plus le verbe. Le verbe a rejoint les cassettes VHS, les fax et les Walkman au rayon des antiquités.

Quand l'étudiant veut signifier à son professeur qu'il apprécie son enseignement, il ne lui dit pas: «Vous êtes passionnant!»

Il ne lui dit même pas: «T'es pas pire pantoute!»

Il dit, tout simplement: «Aïe, su' la coche!»

Quand l'étudiant veut manifester à son professeur qu'il est extrêmement contrarié par sa façon d'enseigner, il ne lui dit pas: «Vous êtes d'un ennui total!»

Il ne lui dit même pas: «T'es plate à mort!»

Il dit, tout simplement: «Aïe, fail!»

Comment apprendre les subtilités du vouvoiement à quelqu'un pour qui formuler une phrase de la longueur d'un tweet est l'équivalent de réciter l'ouvrage complet de Guerre et paix de Tolstoï?

Heureusement, c'est la semaine de relâche, la nouvelle génération a donc sept belles journées pour apprendre à vouvoyer. Entre vous et moi, il n'y a pas que les jeunes qui ne pratiquent plus le vouvoiement. Le commis au dépanneur, le policier, le garagiste, l'animateur télé, le chroniqueur tutoient allégrement tout un chacun.

Voici donc Vouvoyer pour les nuls, un manuel qui aidera jeunes et moins jeunes à maîtriser le vous.

Commençons par la base. Le pronom Je représente la première personne du singulier. À part Mouammar Kadhafi et Alain Delon, les gens s'en servent pour parler d'eux-mêmes. Je vais bien. Je ris. Je pleure. Le pronom Tu représente la deuxième personne du singulier. Normalement, on devrait s'en servir pour toute personne à qui l'on s'adresse. Tu vas bien? Pourquoi lui substituer le vous, qui représente la deuxième personne du pluriel et dont on se sert lorsqu'on s'adresse à plusieurs personnes à la fois? Pour créer une distance. Quand on dit tu, on s'adresse à l'intime. Quand on dit vous, on s'adresse à l'ensemble de la personne qui est devant nous.

Admettons que vous parlez à votre professeur, quand vous lui dites vous, vous parlez à la fois à la personne, au professeur, à la figure d'autorité, à tout ce qu'il représente. Il est multiple et c'est pour ça que vous le vouvoyez.

Comment savoir si on doit tutoyer ou vouvoyer la personne devant nous?

C'est simple, les gens sont des oignons. On a tous plusieurs pelures. Quand on vouvoie quelqu'un, on s'adresse à toutes ces pelures. Au tout.

Le tutoiement est permis seulement à ceux qui ont épluché l'oignon. Ils s'adressent au coeur de la personne. À sa singularité. Donc, on parle à la deuxième personne du singulier. Mais pour avoir épluché l'oignon, il faut être l'ami, l'amour, le parent. Bref, il faut avoir pleuré avec lui. Et ri aussi.

Ce qu'il y a de bien à utiliser le vous avec les inconnus, c'est qu'il rehausse aussi l'utilisation du tu. Le tu n'est plus un signe d'impolitesse, mais un privilège que l'on garde pour nos proches. Aussi quand l'inconnu devient ami, le tu remplace le vous, et la marque de respect se transforme en marque d'amour. Mais il est bien difficile d'atteindre l'étape de l'amour, si on a sauté par-dessus celle du respect.

Parfois le respect est si grand qu'on continue de vouvoyer même si on aime beaucoup. La personne a beau nous prier de la tutoyer, on la voutoie. On passe du vous au tu au vous au tu, c'est plus fort que nous. C'est souvent ainsi avec des aînés qui sont devenus des intimes. On a beau être proche, il y a entre nous toutes ces années de plus. Toutes ces connaissances de plus. Ça vaut bien un pluriel.

Savoir dire vous, savoir dire tu, c'est être sensible aux gens à qui l'on s'adresse. Tout le monde n'est pas un tu. Tout le monde n'est pas un vous. Il faut être à l'écoute de qui se trouve devant nous.

Monsieur Charest, je vous remercie de recommander le vouvoiement à l'école. Sait-on jamais, à la prochaine manif d'étudiants, sur les pancartes au lieu que ce soit écrit «Charest, casse-toi!» ce sera peut-être écrit «Charest, cassez-vous!» Ce sera déjà ça de pris.

Sur ce, je vous salue.