Les gens dans la rue ne marchent plus, ils suivent leurs téléphones. Les gens ne regardent plus où ils vont, ils regardent leurs téléphones. Et peu importe avec qui ils sont, les gens sont avec leurs téléphones. C'est LA chose. L'indispensable chose.

Le téléphone est le V.I.P. de nos vies: le very important phone. Il a priorité sur tout. Peu importe où l'on est, si la petite lumière rouge scintille, notre main va toucher l'objet. Que ce soit au beau milieu d'une conversation, pendant une réunion ou durant la communion, quand le téléphone appelle, l'homme répond. C'est inné. C'est dans nos gènes.

Au XIXe siècle, un monsieur parle avec une madame. Soudain, un pigeon voyageur se pose sur l'épaule du monsieur, pensez-vous que le monsieur va continuer de conter fleurette et attendre d'être seul avant de prendre connaissance du message que lui apporte l'oiseau? Pas du tout. Il va s'occuper du pigeon et délaisser la tourterelle. La livraison est toujours prioritaire.

Souvenez-vous, au bon vieux temps du gros téléphone à roulette dans les maisons, dès qu'il sonnait, c'était la course. On arrêtait tout pour aller répondre. C'était comme une alarme pour le feu, mais au lieu de se sauver, on accourait.

Maintenant, l'alarme est dans nos poches. Plus besoin de courir. Il suffit de tendre la main pour fuir le quotidien. L'appel de l'inconnu, c'est ce qui fait que nous sommes tous esclaves de ces petits engins.

Quand on est avec quelqu'un, quelque part, on sait tout. On sait avec qui on est, on sait où l'on est. On est dans le connu. C'est alors que la chose sonne ou vibre, et là, instantanément, on bascule dans l'inconnu. C'est qui? C'est quoi? Que vais-je apprendre que je ne sais déjà? Alors, au risque d'être impoli, on vérifie. Pardon l'ami, mais ce que j'ai dans la poche est peut-être plus intéressant que toi. On touche la chose avec empressement. Comme si notre vie allait changer. Comme si on espérait recevoir un message de Loto-Québec nous apprenant qu'on vient de gagner 35 millions. La plupart du temps, c'est un message de notre blonde qui nous dit de ne pas oublier le pain.

D'ailleurs, la blonde a une relation amour-haine envers l'objet. Elle exige qu'on se précipite dessus, en tout temps et en toutes circonstances, quand c'est elle qui appelle. Mais quand elle est à nos côtés, elle ne tolère pas que la pensée nous effleure de vouloir y toucher. Au téléphone, bien sûr. Je dis la blonde, mais c'est la même chose pour le chum.

Jadis, on était jaloux d'un Robert ou d'une Valérie, aujourd'hui on est jaloux d'un iPhone ou d'un Blackberry. Et il y a de quoi. C'est rendu qu'on a plus de fun avec son téléphone qu'avec les gens qu'il nous permet de joindre.

C'est le compagnon idéal. Avec lui, j'ai accès à mes courriels, à mes messages textes, à Twitter, à Facebook, à YouTube, au web. Je peux prendre des photos, je peux filmer ce qui ne se passe pas autour de moi, je peux regarder un match de ho-ckey, je peux écouter de la musique ou des podcasts, je peux me faire guider par un GPS, je peux jouer à des jeux et je peux télécharger des dizaines d'applications. Ah, j'oubliais, je peux aussi téléphoner et recevoir des appels. Quel ami est aussi divertissant?

Regardez les gens dans les partys, d'une main, ils tiennent leur drink, et, de l'autre, ils envoient des messages textes avec leur téléphone, question de savoir si le plaisir n'est pas ailleurs. Avant on s'ennuyait, maintenant, on twitte.

Il faut se rendre à l'évidence. Les téléphones sont plus intelligents que les hommes. On ne sait plus le numéro de téléphone de personne, notre téléphone les sait tous. On ne sait plus comment se rendre nulle part, notre téléphone sait aller partout. On se sait pas quel est notre prochain rendez-vous, notre téléphone le sait pour nous. Le téléphone est un disque dur que l'on rajoute à notre cerveau. Une extension de notre esprit.

C'est notre guide. Notre doudou. On ne peut plus vivre sans lui. Il est notre sécurité. À midi ou à minuit, avec lui, on sait que l'on peut toujours se débrouiller. On est hors de danger. Il y en a qui l'appellent Fido, mais la laisse n'est pas autour du cou de celui que l'on croit. C'est lui, notre maître.

Et ça ne fait que commencer. Les téléphones intelligents deviendront de plus en plus intelligents. Bientôt, ils n'auront plus besoin de notre main. Ils se répondront les uns, les autres. Et nous, on les écoutera.

Vous pouvez lancer des journées sans ma voiture, des journées sans mon ordinateur, des journées sans mon steak haché, elles auront toutes leurs disciples. N'essayez jamais d'instituer une journée sans mon téléphone, la planète arrêterait de tourner. Le krach à côté de ça aurait l'air d'un jour férié. Le monde tel que nous le connaissons ne peut plus se passer cette invention.

En ce week-end de l'Action de grâce, force est de constater que l'homme ne croit plus en rien, sauf en son téléphone. La nouvelle sainte Trinité est le 3G. Rendons grâce à l'antenne suprême.

Sur ce, je vous laisse, je vibre.