Le père Tison est tout rouge. Il est en train de nous expliquer comment on fait des bébés. Il nous parle de semence. On se croirait à La Semaine verte. Sur le tableau, il a dessiné des X et des Y. Rien de très érotique. On essaie de comprendre. Ça ressemble à un plan de jeu pour une équipe de football. Jamais le mot sexe n'est prononcé. C'est le miracle de la vie. Un point, c'est tout.

La semence, elle vient d'où? Elle tombe où? Et dans quelles circonstances? Le père Tison ne veut surtout pas que l'on pose des questions. En cinq minutes, l'apprentissage de la sexualité est réglé. Arrangez-vous avec ça, les petits gars! On est déçus. On avait tellement hâte à cette partie du cours de biologie. Personne ne parlait. On était tout ouïe, pour une fois. Mais on se doutait bien que le père Tison ne devait pas être un spécialiste en la matière. Pas vraiment le profil d'un animateur de Radio-Sexe.

Heureusement il y a l'émission d'Huguette Proulx. On l'écoute parfois l'après-midi en cachette quand on manque l'école à cause de la grippe. On entend des mots bizarres qui sonnent comme des noms de pays de l'Europe de l'Est: la sodomie, le cunnilingus. Que de mystères. Mais personne pour nous les expliquer. C'est à peine si je parle de hockey avec mon père, alors je me vois mal lui demander ce que ça veut dire fellation. Même chose pour ma mère qui va à la messe et écoute la grande radio de Radio-Canada tous les jours: elle se scandaliserait de savoir que son fils écoute du sexe à CJMS. Il me reste toujours mon grand frère et ma grande soeur, mais quelque chose me dit qu'ils n'en savent pas beaucoup plus que moi.

La sexualité, quand on a 11 ans en 1972, est un travail de recherche personnel. Une longue quête de connaissances, sans délai et sans remise. On apprend sur le tas, si je peux me permettre ce mot. On ramasse des informations à gauche et à droite et on finit par se faire une tête. Pas seulement une tête, pour être franc. On additionne Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l'Ouest plus la page 7 du Journal de Montréal plus une émission de Janette Bertrand plus les dessins cochons de Fluide glacial plus le swimsuit issue de Sports Illustrated plus le roman Agaguk, plus et surtout la case du grand Allard, et on commence à avoir une idée de comment ça marche. Parce que dans la case du grand Allard, il y a des Playboy. Allard, à 11 ans, est tellement grand et poilu que le dépanneur en face du Collège accepte de lui vendre la tentante revue. On défile pour s'instruire, les uns après les autres, le nez dans sa case et les yeux dans la page centrale. Il y en a qui reste plus longtemps que d'autres. Les articles sont tellement bons.

De Miss Septembre à Miss Juin, on termine son secondaire un peu moins niaiseux qu'on l'a commencé. Tant et si bien que quand, quatre ans plus tard, on aura enfin notre premier rendez-vous avec une vraie fille, on saura à peu près quoi faire. Heureusement les filles sont compréhensives et généreuses, ce sont elles qui compléteront notre éducation sexuelle d'autodidacte. Notre première blonde est surtout notre plus passionnante maîtresse.

Les enfants de ma génération ont appris la sexualité par eux-mêmes. En étant curieux et en jouant au docteur, et j'ai longtemps pensé que c'était la meilleure façon. Je ne comprenais pas pourquoi le ministère de l'Éducation avait instauré un cours d'éducation sexuelle, convaincu que cette matière s'apprenait toute seule. Faut croire que le ministère de l'Éducation n'y croyait pas tant que ça non plus car le programme d'éducation sexuelle a été retiré des écoles en 2001.

Mauvais timing. Si, dans mon temps, il m'apparaissait bucolique d'apprendre les rudiments de la bagatelle en butinant des informations un peu partout, aujourd'hui, ça prend un encadrement, ça prend des explications. Un enfant de 8 ans surfe sur l'internet avec plus d'adresse que ses parents. Il n'a pas besoin du gros Allard pour aller acheter les revues érotiques au dépanneur. Il a toutes les revues érotiques au bout du doigt. Et pas juste ça. Tous les films pornos, toutes les vidéos sadomaso, tous les forums de vieux cochons. Ce qui en 1970 aurait pris 10 ans d'intenses recherches, le jeune de 2010 a accès à ça en 10 minutes. Comme on dit en latin, too much information.

Ce n'est pas parce qu'il aura droit à un cours d'éducation sexuelle que l'élève n'ira pas sur l'internet, mais au moins il aura une personne ressource pour lui expliquer de quoi il en retourne. Pour donner un sens à tout ça. Pour apprendre qu'il y a autre chose que le hard. Que sexe et douceur vont bien ensemble. Pour apprendre à se protéger le sexe et le coeur. Bref ça prend un cours de sexualité, pas seulement pour apprendre la sexualité mais surtout pour désapprendre le cul bête.

Aujourd'hui, un enfant de 11 ans en sait sûrement plus sur la chose que mon père n'en a jamais su. Mais il lui manque l'essentiel. L'essentiel est trop bien caché sur l'internet. L'essentiel est censé être facile à trouver à l'école. Ce serait peut-être temps qu'il y revienne. Entre le cours du père Tison et l'internet, il doit bien exister un juste milieu. Pour en savoir juste assez mais pas trop. Pour que le mystère demeure un peu.