Vous êtes au restaurant avec un couple d'amis. Soudain, la dame envoie une flèche à son mari. Pas gentille du tout. Un coup bas. À propos de sa secrétaire. Le mari rétorque illico. En dessous de la ceinture, aussi. À propos du jardinier. Vous faites comme si vous n'avez rien entendu. Ça continue. Ça parle des courriels enflammés de l'une et de la pelouse fraîchement tondue de l'autre. Vous essayez de changer le sujet de la conversation. Halak ou Price? Le mari répond: Ma femme prendrait les deux! Une claque revole. La chicane reprend de plus belle. Vous regardez le plafond. Gêné, gêné, gêné...

Voilà comment le peuple du Québec se sent devant la chicane entre Jean Charest et Pauline Marois. C'est rendu tellement personnel. C'est rendu, comme on dit en chinois, so mean. Toute la famille est impliquée. Le mari de Pauline, les enfants de Pauline, le frère de Johnny, les amis de Johnny... On est de trop. Et ça ne cesse de devenir de plus en plus vicieux. Où cela va-t-il s'arrêter? Parce que le couturier de madame a contribué à sa caisse, monsieur va-t-il révéler le tour de taille de madame? Et parce que le pharmacien est un généreux donateur de monsieur, madame va-t-elle brandir les prescriptions de Viagra de monsieur? Ça ne serait pas étonnant.

 

Ces échanges dégradants ne servent la cause ni de l'un ni de l'autre. Au contraire, ils nuisent à leur prestige de chef. Il fut un temps où les leaders des partis politiques ne faisaient pas les jobs de bras eux-mêmes. Jean Chrétien était le Scott Hartnell de Pierre Elliott Trudeau. Claude Charron était le Maxim Lapierre de René Lévesque. Ce sont eux qui allaient dans les coins. Ainsi, les chefs évitaient d'être éclaboussés. Aujourd'hui, Jean et Pauline luttent dans la boue, l'un contre l'autre, tous les jours. Ils en ont jusque dans les cheveux. Leurs troupes les entourent et les encouragent: Envoye, Jean, poigne z'y son foulard! Envoye, Pauline, donne z'y un coup de pied dans l'éthique!

Ça manque de classe. Les chefs doivent demeurer au-dessus de la mêlée. Bien sûr, ils peuvent se détester, se haïr, mais il ne faut pas que ça paraisse. Haïr son adversaire au grand jour, c'est lui accorder trop d'importance. Tout est une question de ton. De mots. D'intentions. La plus pernicieuse de toutes les insultes est le compliment. Un compliment trop bien placé peut faire écrouler la façade du plus redoutable adversaire. C'est de cette arme que Jean et Pauline devraient se servir.

Plutôt que de lancer à Pauline: «Vos enfants, qui n'ont pas d'emploi, ont versé 11 600$ à votre campagne à la chefferie. Scandale! Vous les utilisez comme prête-noms! C'est abject!»

Jean devrait lui dire: «Ça m'émeut de voir à quel point vos enfants croient en leur mère. À quel point ils ont à coeur la réussite de leur mère. Comme ils ont dû en vendre, de la limonade, pour ramasser 11 600$! Comme ils ont dû en presser, des citrons, avec leurs petites mains! Je sais que vous ne devez pas les voir souvent, surtout que votre maison est très grande, mais vous pouvez être fiers. Si tous les gosses du Québec étaient aussi généreux avec leurs parents, plus personne n'aurait besoin de pension à vie. Surtout pas votre mari.» Et toc!

Plutôt que d'apostropher Jean en disant: «Votre gouvernement est corrompu! Les employés de l'entreprise CIMA" ont donné 171 000$ à la caisse des libéraux et, en retour, la société CIMA", dont le vice-président André Couturier est votre ami et organisateur de circonscription, a reçu pour 12 millions de dollars en contrats de Transports Québec!».

Pauline devrait lui dire: «Si j'ai le sens de la famille, vous avez le sens de l'amitié. Vous redonnez au centuple ce que vous recevez. L'entreprise de votre ami donne 171 000$ à votre parti, vous lui trouvez des contrats pour 12 millions. Ça me fait presque regretter de ne pas être votre amie. J'espère que vos amis sont reconnaissants. Ils le sont sûrement puisqu'ils ont nommé leur entreprise en votre honneur. CIMA signifiant Charest Investit dans ses Meilleurs Amis.» Et toc, toc!

Tous les messages sont passés. Sans agressivité, sans crêpage de chignon. L'Assemblée nationale est la maison des insultes. Surtout depuis quelques mois. Ce n'est pas une raison pour que ça ressemble à un show de Jerry Springer. Nos représentants sont censés être des intellectuels. Qu'ils se forcent un peu. Injuriez, vilipendez, salissez, maudissez, déshonorez, mais dans les règles de l'art. Sinon, celui qui insulte avec véhémence ne fait que rendre plus sympathique encore, aux yeux du peuple, celui qu'il insulte.

Le renard avait raison, pour obtenir ce que l'on veut, il n'y a que la flatterie. Sur ce, Jean et Pauline, je vous félicite, tous les deux, pour votre grande contribution à l'évolution de la société québécoise.

Pour joindre notre chroniqueur : slaporte@lapresse.ca