Lundi soir, je regarde les nouvelles à Radio-Canada. Drame! Entrevue exclusive avec l'ex-ministre libéral Marc Bellemare qui révèle que des collecteurs de fonds du Parti libéral ont usé de leur influence pour la nomination de juges. On voit Alain Gravel parler avec Marc Bellemare au téléphone. Gravel est en super close up comme dans les westerns de Sergio Leone. On voit les fréquences du son de la conversation en vert monter et descendre comme un rythme cardiaque. Pas de doute, on est dans 24. Kiefer Sutherland va arriver d'un instant à l'autre pour arrêter Jean Charest. La pression est trop intense, je zappe à TVÀ pour m'aérer.
Drame! Entrevue exclusive avec l'ex-ministre libéral Marc Bellemare qui révèle que des collecteurs de fonds du Parti libéral ont usé de leur influence pour la nomination de juges. On voit Paul Larocque parler avec Marc Bellemare en chair et en os. Deep Throat est à visage découvert. La même nouvelle, mais en deux versions différentes: la version film d'espionnage et la version topo dans un coin de bureau.
Une chose est certaine, les gens de Radio-Canada ne regardent pas TVA, et vice versa. Durant toute la semaine, les deux réseaux feront allusion aux révélations exclusives de Me Bellemare à leurs journalistes. Youhou, la gang, c'est parce que Me Bellemare a dit exactement la même chose à l'autre poste, en même temps. Il faudrait peut-être que vous réalisiez que Me Bellemare n'a rien d'exclusif. Me Bellemare parle à tout le monde. Je suis certain qu'il a essayé d'avoir la ligne à Call TV sur V pour confier ses révélations exclusives à la jeune et jolie Sunny Stella. Malheureusement pour lui, l'énigme «Mots mêlés» venait d'être résolue par Manon de Deux-Montagnes.
Le lendemain matin, je suis encore rivé à mon écran. Deuxième partie du drame, le premier ministre Charest, à peine revenu de voyage, donne une conférence de presse pour réagir aux propos exclusifs de Me Bellemare. Charest adopte la stratégie du volcan islandais. Il explose en envoyant un épais nuage de fumée. Jusqu'alors, le premier ministre semblait être aussi fan des commissions d'enquête que des Loco Locass. Pourtant, 12 heures à peine après les accusations exclusives de Me Bellemare, il annonce la tenue d'une commission d'enquête sur le processus de nomination des juges. Notre système judiciaire est attaqué. Il faut le défendre. Il faut le blanchir.
Serait-il possible qu'un gouvernement libéral nomme des juges plus proches du Parti libéral et qu'un gouvernement péquiste nomme des juges plus proches du Parti québécois? À cela, je réponds candidement... Oui, pis? J'ai toujours pensé que ça fonctionnait un peu comme ça. La grande révélation pour moi, dans les propos de Me Bellemare, est que la nomination des juges doit se faire sans aucune influence de qui que ce soit. Ce qui me paraît bien utopique. Plus objectif que ça, on les choisirait au hasard. On passerait un gratteux à chaque avocat et celui qui gratterait trois fois Cour supérieure y serait nommé. Traitez-moi de désabusé, mais ça ne me scandalise pas de savoir qu'un gouvernement libéral nomme plus de juges aux allégeances libérales et qu'un gouvernement Bloc pot nommerait plus de juges aux allégeances bloc potistes. Que des récidivistes violentent des personnes pour la huitième fois, ça me scandalise! Que des gens meurent dans les hôpitaux à cause de mauvais traitements, ça me scandalise! Que le gouvernement gaspille notre argent en donnant des contrats de construction à des bailleurs de fonds du parti, ça me scandalise! Que le père d'un bon avocat fasse mousser la candidature de son fils à la magistrature auprès de ses amis du parti, ça me fatigue. Mais ça ne me scandalise pas.
Je semble être le seul de ma gang. Car tout le Québec est sens dessus dessous à cause de ces révélations. Tout le Québec s'ouvre les veines. Tout le Québec se range derrière Bellemare, et renie Charest. La colère monte. La population grogne. L'insatisfaction est à son comble. Le Québec va-t-il sauter? Non. Et savez-vous pourquoi? Parce que l'espoir est revenu quand on ne s'y attendait plus. Pas l'espoir dans la classe politique. Encore mieux que ça. L'espoir dans nos Glorieux. Jeudi soir, contre toute attente, les Canadiens ont battu les Capitals. David a battu Goliath. Tous les drames de la semaine se sont évanouis. C'est arrivé, comme un cadeau de la vie. Du coup, il fait de nouveau beau dans nos coeurs.
Ce soir, à 19h, Marc Bellemare peut bien révéler exclusivement à Radio-Canada, TVA, RDI, LCN et Yoopa qu'il a déjà frenché Jean Charest dans un sauna de Sainte-Foy, tout le Québec s'en fout. Parce que tout le Québec sera branché sur RDS et le deuxième match de la série Montréal-Washington. Était-ce juste une luck, jeudi? Halak résistera-t-il encore? Gill et Spacek sont-ils vraiment bons? Respirez à fond, sentez-vous cette odeur? Cette odeur, elle ne vous rappelle pas quelque chose? Parce que vous le savez bien, si on bat Washington, tout est possible!
Savez-vous quel est le plus grand partisan du Canadien, en ce moment? Jean Charest.