Chers Québécois, chères Québécoises,

Félicitations! Vous avez réussi avec brio le dernier exercice de votre psychanalyse communautaire. Car sachez que tout était prévu. Même la résiliation de mon contrat. Il importait, pour que la ville de Québec se tourne vers l'avenir, qu'elle règle ses comptes avec le passé. Et quel est le plus grave traumatisme subi par Québec depuis sa fondation? L'abandon de la mère patrie. Québec ne s'est jamais remis que la France, dans la plus grande indifférence, cède aux Anglais ces quelques arpents de neige en 1763. Durant 247 ans, l'enfant rejet n'a cessé de quémander l'attention de sa mère. De Félix Leclerc à Xavier Dolan, une vedette québécoise ne pouvait être reconnue par ses concitoyens que si elle avait été reconnue préalablement par la France. De Guilda à moi-même, tous les Français qui daignent venir à Québec et se mêler aux autochtones sont accueillis comme des messies. On les encense. On les décore. On les vénère. Il était temps que ça cesse. Que l'enfant s'émancipe. Que le gosse coupe le cordon. Et pour ce faire, il fallait un choc, une révolte. Une deuxième trahison, effaçant celle des rois de France.

 

Voilà pourquoi j'ai falsifié mon curriculum vitae spécialement pour vous provoquer. Je ne suis pas con, je sais bien que je n'ai pas assisté au débarquement de Normandie, puisque, à cette époque, j'étais aux États-Unis en train d'expliquer à Einstein comment faire la bombe atomique. Je sais bien que ce ne sont pas les chansons de Félix Leclerc qui m'ont aidé à traverser les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale, mais celles de Lynda Lemay.

En truffant mon CV de balivernes, je me doutais bien qu'un jour, un petit reporter de village allait s'en apercevoir. Et, du coup, se prendre pour Bob Woodward découvrant le Watergate (en passant, Deep Throat, c'était moi, mais ne changeons pas de sujet), et crier au scandale. Ce qui fut fait. Et tout le déferlement médiatique qui a suivi était prévu aussi. Grâce à ma stratégie, tout Québec s'est ligué contre la représentation de la mère patrie que j'incarne. Tout Québec a désavoué ma présence. Tout Québec m'a chassé hors de ses murs. La ville de Québec a tué sa mère. Rien de moins.

Le petit Régis a cogné la table avec son petit poing. Dehors, le Français! Donc dehors, la France! Voilà, c'est fait. Québec devient adulte. Québec entre dans la modernité. Québec se libère. Vive Québec libre! Comme l'a dit le général de Gaulle (c'est d'ailleurs moi qui lui avais écrit ce célèbre discours lors de l'ouverture des Jeux olympiques, c'est d'ailleurs moi qui avais aidé Taillibert à faire les plans du Stade).

Québécois, Québécoises, je vous ai guéris du complexe français.

Devant une telle réussite, je comprends que le maire Labeaume refuse de me payer les 325 000$ qui me sont dus, car c'est le double que je mérite; 650 000$, c'est bien peu pour avoir aidé toute une ville à vaincre ses démons. Grâce à moi, jamais plus les Québécois ne s'écraseront devant la prétention d'un Français. Le maire Labeaume, dorénavant, se tiendra debout, même s'il est petit.

C'est la morale du dîner de cons. Le con est naïf. Le con est gentil. Le con est impressionné par le type cultivé. Le con se laisser berner. Mais, un jour, le con finit par se rendre compte qu'on le prend pour un con. Alors, il se venge. C'est toujours comme ça, chez vous, il faut marcher sur votre drapeau pour faire surgir votre sentiment nationaliste, il faut bafouer vos usages pour que vous les défendiez. Bref, il faut vous choquer pour vous réanimer.

Je vous avais promis de vous révéler le code de Québec. Le voici: c'est le code-barres. Aussitôt que mon salaire fut connu, mon chat était mort. Les Québécois méprisent tous ceux qui font du cash. Ils les barrent.

Cela dit, ça m'a fait plaisir de faire affaire avec vous, mais il faut que je me tire. Mes services sont requis ailleurs. Toyota m'a appelé pour que je refasse son image. J'ai déjà trouvé leur prochain slogan: «On n'arrête pas le progrès, nos voitures, non plus!» Il y a aussi le pape qui veut que je refasse l'image de l'Église. Encore là, provocation. Mégacampagne de pub avec ce slogan: «La bite ne fait pas le moine!» Mais avant tout ça, c'est aujourd'hui Samedi saint, alors faut pas que j'oublie de ressusciter demain.

Salut mes cocos!

Je vous embrasse. On se reverra au dévoilement de ma statue devant le Château Frontenac, je suis libre l'été prochain.

Signé Clotaire Rapaille.