Mon conseiller spirituel a demandé à me voir. Bizarre. Normalement, c'est l'inverse. Chaque élève du Collège est jumelé à un prêtre qui suit son cheminement. Quand un jeune a besoin de parler, de se confier, d'être consolé, il va rencontrer son ange gardien à son bureau. Il devient ainsi dispensé du devoir dans la grande salle d'études. Il y a des gars qui ont souvent besoin de se confier! Ils y vont une fois par semaine. Moi, en cinq ans, je n'y suis jamais allé. Quand ça ne file pas, j'écoute les Beatles. Ce sont eux, mes conseillers spirituels.

Je frappe à la porte du bureau du père Demers. Le père Demers ouvre la porte: Entrez Stéphane... Je m'assois sur la petite chaise en bois devant son bureau. Le père Demers s'assoit derrière son bureau. C'est la première fois que je suis seul, dans un endroit clos, avec un prêtre. Je suis comme intimidé.

 

- Alors Stéphane, comment allez-vous?

- Ça va très bien...

- Comment va votre vie spirituelle?

- Numéro 1.

- Vous n'avez pas eu recours à mes services très souvent...

- Non, parce que dans un cours, vous avez déjà dit que peu importe les questions que l'on se pose, les réponses sont en nous. Alors pour ne pas perdre votre temps, je les cherche tout de suite. Ça sauve une étape.

- Vous êtes un petit futé?

- Peut-être...

Le père Demers sourit:

- En vous voyant aller depuis cinq ans, je savais que tout allait bien pour vous. Je tenais quand même à vous saluer avant votre départ pour le cégep...

- C'est gentil. Et vous, comment allez-vous?

- Ça va.

Quand quelqu'un répond seulement ça va, à la question comment allez-vous, c'est qu'au fond, ça ne va pas tant que ça. Je l'ai vu dans ses yeux. Il m'a fait un clin d'oeil. On s'est serré la main. Et je suis parti, en le laissant seul. Et je me sens un peu triste pour lui.

Le père Demers a beau être mon conseiller spirituel, au fond, j'ai l'impression que c'est lui qui aurait besoin d'être consolé.

C'est la grande différence entre nos profs laïques et nos profs religieux. La solitude qui les entoure. Comme s'ils ne faisaient pas partie de la même gang que nous. Comme si au jeu de la vie, ils ne jouaient pas avec nous. Qu'ils étaient les arbitres.

Ils ont entre 20 et 70 ans. Ils n'ont pas de femmes, d'hommes ou d'enfants. C'est Dieu qui remplace tout ça. Mais Dieu est un chum absent. Qui ne te prend jamais en cuillère la nuit. Qui ne t'apporte pas des fleurs, le jour.

Bien sûr, ils vivent tous ensemble, en communauté. Mais ça ne fait qu'additionner les solitudes. Même les prêtres cool, ceux qui vont aux concerts rock, qui se promènent en moto, et qui se permettent de dire torpinouche, demeurent en marge. Parce qu'ils sont privés de ce qu'il y a de meilleur: l'amour. Pas l'amour infini. Ça, ils l'ont. Mais l'amour qui finit et qui recommence, celui qui fait vibrer nos vies, il n'y ont pas accès. Ce n'est pas pour eux.

Comment peut-on vivre sans?

Chaque fois que je vois un scandale sexuel éclater, qui met en cause des prêtres, je repense aux bons prêtres de mon Collège. Qui ne m'ont jamais rien fait de mal. Au contraire. Il y en avait des charismatiques, des drabes, des machos, des efféminés. Mais pas de maniaques. En tout cas, pas avec moi. Une chose les unissait, leur solitude. Leur coupure.

Au-delà des déviations et des problèmes psychologiques de plusieurs membres des diverses congrégations, il y a peut-être un mal de vivre inhérent à leurs conditions. Est-ce sain de faire une croix sur l'amour? L'amour normal. Avec un homme ou une femme adulte.

Ce n'est pas une petite chose que de couper de sa vie l'attirance, la séduction et le bonheur d'être deux. Ce n'est pas comme se priver de viande. Aucun mode de vie ne peut compenser pour une vie sans le plaisir d'aimer et d'être aimé.

C'est beau se sacrifier pour les autres, mais sacrifier l'amour à deux, ça ne donne rien aux autres. Au contraire. Et l'argument voulant que le célibat permette de consacrer plus de temps à la société est bien mince. L'agenda d'Obama est assez rempli, merci. Et l'amour de sa famille ne fait que lui donner plus d'énergie.

Bien sûr, c'est leur choix. Ce sont eux qui ont décidé d'entrer dans les ordres. Ce sont eux qui ont prononcé leurs voeux.

Il faut condamner les pervers qui ont gâché la vie d'innocents. Qui ont souillé des enfants. Qui ont usé de leur pouvoir. Il faut que leurs victimes obtiennent enfin justice.

Mais les autres, les prêtres normaux, les prêtres corrects, ceux qui aident leurs prochains, ceux dont on ne parle jamais, ceux dont on ne parle plus, je me demande, tout simplement, s'ils vont bien?

Et cette réponse là, elle n'est pas en moi. Elle est en eux.